Q : Je confesse être d'humeur rebelle aujourd'hui. Tout me semble incertain, inutile...
Nisargadatta Maharaj : C'est une humeur profitable. Douter de tout, tout refuser, s'interdire d'apprendre quelque chose d'autrui. C'est le fruit de votre longue sadhana (pratique spirituelle). Après tout, on n'étudie pas éternellement.
Q : J'en ai assez. Cela ne m'a mené nulle part...
M : Ne dites pas nulle part. Cela vous a mené où vous êtes maintenant.
Q : Toujours l'enfant et ses accès de colère ! Je n'ai pas avancé d'un pouce.
M : Vous avez commencé comme enfant, vous finirez enfant. Vous devez perdre tout ce que vous avez gagné et finir comme vous avez commencé.
Q : Mais l'enfant se rebiffe ! Quand il est en colère, quand on lui refuse quelque chose, il se met à trépigner.
M : Laissez-le trépigner. Regardez-le seulement, quand il trépigne. Et si vous avez trop peur des autres pour trépigner avec conviction, constatez-le. Je sais que c'est un travail douloureux. Mais il n'y a pas de remède, sauf de renoncer à chercher des remèdes.
Si vous êtes en colère ou dans la peine, situez-vous hors de la colère et de la peine : observez-les. L'extériorisation est le premier pas vers la libération. Éloignez-vous et regardez. Les événements physiques continueront d'arriver, mais, en eux-mêmes, ils n'ont aucune importance. C'est le mental seul qui compte, quoi qu'il arrive. Vous ne pouvez pas trépigner et hurler dans les bureaux d'une compagnie aérienne ou d'une banque, la société ne le permet pas. Si vous n'aimez pas leurs manières, ou si vous n'êtes pas prêt à les accepter, ne voyagez pas et n'ayez pas d'argent. Marchez, et si vous ne pouvez pas marcher, ne voyagez pas. Si vous avez affaire à la société, vous devez accepter ses usages, car ce sont les vôtres. Vos besoins et vos demandes les ont créés. Vos désirs sont si complexes et si contradictoires qu'il n'est pas étonnant que la société que vous créez soit, elle aussi, complexe et contradictoire.
Q : Je le vois bien et j'admets que le chaos extérieur n'est qu'un reflet de mon propre manque intérieur d'harmonie. Mais quel est le remède ?
M : Ne cherchez pas de remèdes.
Q : Quelquefois on est dans un état de grâce et la vie est heureuse et harmonieuse. Mais un tel état ne dure pas ! L'humeur change et tout va mal.
M : Si vous pouviez seulement vous tenir tranquille, les attentes et les mémoires éclaircies, vous seriez capable de voir la belle mise en place des événements. C'est votre agitation abrutissante qui cause le chaos. Vous voulez des résultats immédiats ! Nous ne faisons pas de magie ici. Tout le monde fait la même erreur : refuser les moyens mais en voulant la fin. Vous voulez la paix et l'harmonie dans le monde mais vous refusez de les avoir en vous. Suivez mon conseil avec confiance et vous ne serez pas désappointé. Je ne peux résoudre vos problèmes simplement par des mots. Vous devez agir conformément à ce que je vous dis et persévérer.
Ce n'est pas le conseil juste qui libère mais l'action qui se fonde sur lui. Voyez le docteur qui dit au patient, après lui avoir fait une piqûre : "Maintenant, restez tranquille. N'en faites pas plus, restez seulement tranquille" ; je vous dis comme lui : vous avez eu votre piqûre, maintenant restez tranquille, seulement tranquille. Vous n'avez rien d'autre à faire. Mon guru a fait la même chose. Il m'aurait enseigné quelque chose et ensuite aurait dit : "Maintenant restez tranquille. N'allez pas ruminer tout le temps. Arrêtez. Soyez silencieux."
Q : Je peux rester une heure tranquille le matin, mais la journée est longue et beaucoup de choses arrivent qui jettent à bas mon équilibre. C'est facile de dire : "Faites le silence", mais dites-moi comment, au milieu des hurlements en moi et autour de moi, peut-on y parvenir ?
M : Tout ce qui doit être fait peut être fait dans le silence. Il n'y a aucune raison d'en être bouleversé.
Q : Tout ça n'est que théorie qui ne colle pas aux faits. Je vais retourner en Europe où je n'ai rien à faire. Ma vie est totalement vide...
M : Essayez simplement d'être calme, tout viendra à vous, le travail, la force de le faire, la motivation juste. Faut-il que vous sachiez tout d'avance ? Ne soyez pas angoissé par votre avenir, soyez tranquille aujourd'hui et tout se mettra en place. L'inattendu arrivera certainement alors que l'attendu peut ne jamais se produire. Ne me dites pas que vous ne parvenez pas à contrôler votre nature. Il ne vous est pas nécessaire de la contrôler. Jetez-la par-dessus bord, n'ayez pas de nature à combattre ou à laquelle vous soumettre. Aucune épreuve ne vous blessera pourvu que vous n'en fassiez pas une habitude. Vous êtes la cause subtile de l'univers entier. Tout EST, parce que vous êtes. Accrochez-vous fermement et profondément à ce point – demeurez-y. Réaliser ceci comme absolument vrai, c'est la libération.
La nature n'est ni plaisante ni déplaisante. Elle n'est qu'intelligence et beauté. La souffrance comme le plaisir ne sont que dans le mental. Changez votre échelle de valeurs et tout changera. Le plaisir et la souffrance ne sont que des perturbations des sens ; acceptez-les tranquillement, ils ne seront plus que béatitude. Puisque le monde est ce que vous en faites, rien ne vous empêche de le faire heureux. Seul le contentement peut vous rendre heureux. Des désirs assouvis naissent de nouveaux désirs. Se garder de tout désir, se contenter de ce qui vient de soi-même, est une attitude très fructueuse – un premier pas vers l'état de plénitude. Ne méprisez pas sa stérilité et sa vacuité apparentes.
Croyez-moi, c'est la satisfaction des désirs qui engendre la misère. La liberté vis-à-vis du désir est béatitude.
Q : Il y a des choses dont nous avons besoin...
M : Ce dont vous avez besoin se présentera à vous si vous ne désirez pas ce dont vous n'avez pas besoin. Mais peu de gens atteignent cet état de lucidité totale et de complet détachement. C'est un état très haut, le seuil même de la libération.
Q : Ces deux dernières années, j'ai été stérile, désolé, vide, souvent j'ai appelé la mort...
M : Avec votre présence ici, les choses se sont mises en marche. Laissez-les se produire comme elles arrivent. Le tri se fera convenablement de lui-même en fin de compte. Ce n'est pas la peine de vous battre pour l'avenir – c'est l'avenir qui viendra à vous. Pendant un certain temps encore, votre démarche sera celle d'un somnambule, comme aujourd'hui, dépourvue de sens et d'assurance ; mais cette période aura une fin et vous trouverez votre travail fructueux et facile.
Il y a toujours des moments où on se sent vide et détaché. De tels instants sont des plus désirables car ils montrent que votre âme a largué ses amarres et vogue vers des pays lointains. C'est cela le détachement : quand on en a fini avec le vieux et que le nouveau n'est pas encore arrivé. Si vous avez peur, cet état peut être éprouvant ; mais il n'y a là rien dont vous puissiez être effrayé. Souvenez-vous de cette instruction : quoi qu'il vous arrive – dépassez-le.
~ Nisargadatta Maharaj
Je Suis, chapitre 53
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