On entend souvent dire que les astres « agissent » sur nous : qu’ils provoqueraient des marées intérieures, influenceraient directement nos comportements, nos émotions, ou même des événements comme les naissances et les accidents.
Cette vision est très répandue, mais scientifiquement elle ne tient malheureusement pas la route: les forces physiques des planètes et des étoiles sur le corps humain sont infinitésimales, des millions de fois plus faibles que les forces biochimiques qui gouvernent nos cellules. Autrement dit, ce ne sont pas les forces brutes des astres qui nous influencent.
Alors pourquoi depuis toujours, toutes les civilisations ont-elles lié les astres à la vie et leur prêtent une influence sur celle-ci?
Parce qu’ils donnent des "rythmes".
Dans le monde vivant, la vie se règle sur les cycles astronomiques : Le soleil structure l’alternance jour-nuit et les saisons, organisant migrations, hibernations, floraisons. La lune cadence la reproduction des coraux, l’activité de certains poissons, et influence de façon plus subtile le sommeil et parfois les cycles menstruels humains. Les planètes suivent des trajectoires régulières, utilisées comme repères pour marquer le temps long. Le champ magnétique terrestre sert de boussole à des animaux comme les oiseaux, les abeilles ou les tortues marines.
L’influence n’est pas mécanique, mais rythmique : les astres servent de "métronomes cosmiques", des horloges fiables auxquelles la vie peut s’accorder.
C’est exactement ce que le taoïsme a compris et enseigne avec finesse.
Contrairement à certaines traditions qui attribuent aux astres une force occulte qui « agirait » directement sur nous, le taoïsme les considère comme des "indicateurs de transformation". Ils ne sont pas des agents qui nous forcent, mais des signes qui indiquent quand un mouvement est en train de se produire.
Le calendrier taoïste est entièrement construit sur cette logique de rythmes :
Les "24 souffles solaires" ("jieqi" 節氣) qui découpent l’année en micro-saisons
Les "cycles lunaires" qui guident rituels, méditations et pratiques respiratoires
Les "grandes périodes cosmiques" de 20 ou 60 ans, utilisées en astrologie taoïste (BaZi, Qi Men Dun Jia)
Le "calendrier sexagésimal" à 60 temps, produit par la combinaison des "10 Troncs célestes" (Tian Gan 天干) et des "12 Branches terrestres" (Di Zhi 地支).
Le calendrier sexagésimal est une manière de dire que chaque instant porte une signature énergétique unique.
Les 10 Troncs célestes sont comme dix « couleurs du Ciel », exprimant la qualité du souffle cosmique selon les Cinq Mouvements (bois, feu, terre, métal, eau, chacun en polarité yin et yang).
Les 12 Branches terrestres sont comme douze « figures de la Terre », représentées par les animaux du zodiaque, qui expriment les cycles d’ouverture, de croissance, de repos et de mutation dans la nature.
En combinant ces deux séries, on obtient 60 combinaisons possibles : un peu comme si l’on croisait dix notes de musique avec douze rythmes différents, créant ainsi soixante accords uniques. Chaque accord ne se répète qu’après un cycle complet de 60 temps (jours, mois ou années).
Prenons la combinaison Jia Zi 甲子 (Bois Yang du Ciel associé au Rat). Jia 甲 représente le Bois yang : l’élan vital, la germination, la force de la tige qui perce la terre au printemps. Zi 子 correspond au Rat, premier des douze rameaux : l’énergie de minuit, de l’hiver profond, du moment où tout est contenu en germe, étincelle du Yang. Quand ces deux forces s’associent, on obtient une image très forte : l’énergie nouvelle qui surgit au cœur de l’obscurité, la semence de vie qui jaillit quand tout semble encore figé. Dans la tradition taoïste, ce moment est considéré comme favorable pour initier de nouveaux cycles, poser les fondations d’un projet ou enclencher un processus intérieur de transformation.
À l’opposé, une autre combinaison comme Gui You 癸酉 (Eau Yin du Ciel avec le Coq) exprime un moment de condensation, de repli, de raffinement, où l’on met de l’ordre, on clarifie, on clôture. Ainsi, chaque instant n’est pas seulement une date abstraite, mais une qualité rythmique précise, lisible dans la rencontre des souffles célestes et terrestres.
La pensée grecque antique a cherché à répondre à la question « Qu’est-ce que c’est ? » — elle a produit une ontologie de l’être.
La pensée occidentale moderne a mis l’accent sur la substance et les lois mécaniques de la matière et de l’énergie.
Le taoïsme, lui, se concentre sur le temps et les transformations. Il demande non pas « qu’est-ce que c’est ? », mais « quand est-ce juste ? ».
C’est une véritable chronospiritualité : une voie où l’on apprend à lire les cycles du ciel et de la terre, à se synchroniser avec eux, et à transformer sa vie intérieure en résonance avec le grand mouvement du Dao.
Pratiquer le taoïsme, c'est chercher à entrer dans le tempo du monde. Comme un musicien ou une musicienne, mais à une échelle cosmique. C’est comprendre que l’efficacité spirituelle ne vient pas des passages en force ou de la volonté, mais très souvent de la justesse du moment choisi.
Ainsi, le taoïsme nous enseigne l’art de la synchronisation : vivre avec les astres non comme des puissances qui nous déterminent ou nous contraignent, mais comme des horloges naturelles qui nous rappellent la danse universelle des transformations et nous apprennent à danser avec elles avec grâce, sans marcher maladroitement sur les orteils de la Réalité.
Bonne réflexion et pratique
Fabrice Jordan
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