dimanche 21 avril 2024

« La vie est un collier de perles »


Après avoir parlé, la personne victime d’abus peut ressentir un immense soulagement. Enfin, elle a été entendue. Enfin, les faits ont été reconnus. Enfin, la voilà libérée de ce poids si lourd qui pesait sur elle et qui la détruisait depuis de nombreuses années. Mais, en même temps, elle s’est entièrement construite avec et autour et à côté de ce trauma. Si on imagine l’abus comme un obus qui s’est fiché violemment en elle, on se rend compte de l’impact que cela a pu avoir en son psychisme, en son âme, en sa vie. Il suffit de penser aux trous de bombes que l’on observe encore dans nos campagnes. Parler a donc non seulement laissé en elle des éclats bien tranchants, mais a en plus créé un vide, un gouffre ingérable.

Un travail d’orfèvre

Commence alors, pour le patient et son thérapeute, un travail long et douloureux, un travail d’orfèvre. Comme l’expliquait le médecin général et professeur de psychiatrie Louis Crocq, mon maître, il faut que la personne parvienne à faire un « récit autobiographie » de son existence. Ce n’est que lorsque la parole va permettre au trauma d’être intégré à la vie, à l’être même de la personne, que peuvent poindre les bénéfices d’une liberté retrouvée.

Je dis souvent à mes patients que la vie est un collier de perles : « Nous allons les enfiler les unes après les autres. Certaines seront magnifiques, d’autres toutes noires. Celles-ci ne redeviendront jamais blanches, mais elles font partie du collier. Il faut l’accepter. Cela ne veut pas dire accepter l’innommable, mais accepter de vivre malgré et avec l’innommable qu’il y a eu en votre vie. » La personne victime ne parviendra peut-être jamais à donner un sens à son vécu, mais, en prenant son temps, en creusant au plus profond d’elle-même, en acceptant de cheminer sur des sentiers jusqu’alors inconnus, en se détachant du regard des autres, elle rencontrera une source qui l’autorisera tout simplement à vivre.

Isabelle Chartier Siben 

source : La Vie

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