Les nuages lents, les nuages clairs au long des routes nous observent de si loin qu'il est difficile de savoir ce qu'ils pensent. Et peut-être même, mais nous n'osons y songer, leur regard évasif oublie de s'arrêter sur nous, poursuivant une trajectoire invisible, par-delà les lignes de peupliers qui ferment nos pays.
Quand les nuages nous font rêver
Massifs et flottants tout à la fois, ils égrènent un rivage d'incertitude, des terres suspendues, des pentes hésitantes, de vastes plateaux où d'étranges troupeaux, en caravanes longues et silencieuses, suivent des routes parallèles, qui jamais ne se rejoindront puisque nous n'avons pas le même horizon.
Et qu'y aurait-il de commun entre ces hauts fronts bombés comme des voiles, toujours un peu distraits, pensifs immensément, et les villages traversés, rabougris autour de l'unique place où clignote l'enseigne lumineuse de la boulangerie, puis la mairie et la poussière de ses drapeaux, le parking où l'on se range comme au cimetière ? Quel lien caché entre leurs libres métamorphoses et la grise évidence du bureau de poste ?
À trop contempler la flottille des nuages, le rêveur pourrait s'embarquer pour des conquêtes illusoires. Mais sur son chemin il rencontre le sage ou le gendarme, qui lui rappellent le sens des réalités - et celui de la route, dont la sinuosité nous abuserait facilement, dans l'intermède des campagnes aux lointains plus complaisants.
Les images qui s'y forment
« Qui aimes-tu le mieux ? », interroge le poète, non sans duplicité, à travers la foule hagarde se cherchant un frère : et l'étranger, lui-même passant parmi les villes, passant sur la terre, de répondre d'un regard mélancolique vers les fugitifs déjà loin, là-bas, les troublants nuages, les impondérables nuées qui pourraient nous rendre étrangers au monde, mais de cette étrangeté qui fait le monde si vaste.
Les mieux inspirés y surprennent des montagnes en gestation, d'autres des cavaliers lancés dans une course interminable, des éléphants se déplaçant d'un pas de danseuse, des visages antiques, des continents à la dérive, mais en réalité, par bouffées, comme d'une pelote, les nuages dociles se contentent de dénouer les formes, toutes les formes, celles des êtres comme des pensées, pour nous laisser dans le vague, dans cette imprécision qui fait les choses plus mobiles et plus profondes, comme l'espace dont elles résonnent.
Le regard du poète
Et soudain, d'une déchirure des courbes de la route bâillonnant l'attention, entre la vigne et le verger, ce pré solitaire, lisse et joyeux comme un miroir tout neuf : la douceur de sa pente, la tendresse de son éclat, je ne sais, comme un cri, un appel, l'intervalle éblouissant d'un instant de vérité - sur le bord de nos routes - au détour de ce que l'on croit être nos destins - et qu'on abandonne déjà, toujours passant, toujours fuyant.
Lui aussi caresse les nuages, là-haut, les invraisemblables nuages, comme ici, sur cet arpent d'innocence, les nuages mêlent au vert les fils de leur blancheur. Ils portent le vif des vents, sur l'herbe ils sèment l'espace. Ils ne sont qu'haleine, mouvement, passage, légèreté, figures dans les airs et pleines de ces airs qu'ils nous soufflent avec la lumière en liberté.
Et le long des routes ils chantent, ainsi qu'une musique en marge de nos vies, mais pour les ouvrir, les agrandir d'un monde qui est pourtant le nôtre et que nous avons fini par oublier - en rétrécissant le regard comme peau de chagrin - en limitant le pas aux dalles des trottoirs - jeu de marelle dont on a perdu l'arc du ciel.
Philippe Mac Leod est écrivain et a publié plusieurs livres et recueils de poésie. Auteur de « Habiter les mots », et de «Variations sur le silence », chez Ad Solem.
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