Jean-Marc Kespi, praticien de médecine chinoise depuis plus de 50 ans, nous explique la symbolique du coeur dans cette pensée.
Si vous voulez toucher du doigt la subtilité de la philosophie et de la médecine chinoises, vieilles de plus de 5 000 ans, mettez de côté dans un premier temps tout raisonnement occidental », avertit Jean-Marc Kespi, médecin et président d'honneur de l'Association française d'acupuncture. Pratiquant la médecine chinoise depuis plus de 50 ans, il nous emmène en voyage dans la complexe et très poétique symbolique chinoise du coeur et de l'empereur...
Gardien du secret de la vie
« Le cœur est l'empereur des organes et assure les mêmes fonctions que le véritable empereur. Soleil de l'univers, il est la source de la vie, le fils du ciel, le miroir qui reflète l'ordre du monde et la vibration originelle, le shen, mystère de la vie. Dans la pensée chinoise, le shen nous est prêté à la naissance, et nous le restituons au moment de notre mort. Là où circule le shen, la vie est présente. Dès lors, le rôle du cœur est primordial : il doit refléter et transmettre le mieux possible cette vibration originelle. Il est le pont entre ce mystère de la vie et la réalité. Comme s'il était gardien du secret de la vie. Pour les Chinois, le cœur empereur est le siège de notre nature propre, jonction entre l'origine de la vie et l'essence unique de chacun.
Si le miroir est sale, il reflétera mal l'ordre naturel du vivant et ne redistribuera pas correctement ce souffle de vie à ses ministres. Il irriguera mal ses organes. La pensée chinoise nous dit en substance que plus on s'interpose face à nos angoisses, pensées et ambitions, plus on est opaque et moins on est réceptif au secret de la vie. Pour accomplir cette fonction de miroir, le coeur doit donc être pur, clair et vide. Tel un sage qui ne s'interpose pas, n'impose pas sa volonté propre. Il reçoit et transmet. Il est l'empereur et laisse actions et décisions à son ministre. Il nous permet d'être dans le vide, dans l'instant présent.
Carrefour des émotions
Au-delà du cœur empereur, les Chinois considèrent qu'il en existe un second : le cœur ministre, par quoi l'empereur agit. Son agent en quelque sorte ! Le coeur ministre agit sur le coeur anatomique, les vaisseaux et le sang. Il est très sensible aux émotions. C'est pourquoi toute émotion excessive, y compris positive, se répercute d'abord sur le cœur. Comme pour chaque organe, les Chinois attribuent un sentiment particulier au cœur : la joie paisible pour le coeur empereur, et l'allégresse, l'exubérance en action pour le cœur ministre. Ce dernier peut être malade physiquement ou psychologiquement (un infarctus est la conséquence d'un problème physique souvent conjoint à une émotion excessive). Alors que les atteintes du poumon sont liées à un deuil, à une injustice, celles des reins à la peur, les maux du cœur résonnent de toutes nos émotions. Il est le carrefour des organes et des émotions qui leur sont liées. Trop d'émotions, ou pas assez, même une joie excessive lèsent le coeur. Son défi pourrait se résumer ainsi : "Suis le courant plutôt que d'imposer ce que tu veux." Une véritable école de sagesse.
Enfin, la pensée chinoise considère que les mêmes lois régissent toute vie. L'acupuncture décrit sur un mode symbolique une architecture originelle du vivant. C'est pourquoi l'architecture impériale de Pékin, coeur et organe directeur du pays, répond à celle du coeur dans le corps humain. Ainsi trois points d'acupuncture régissant le coeur trouvent-ils leur correspondance dans les trois édifices du temple du Ciel. Le temple des Ancêtres fait écho au point d'acupuncture relié aux lignées généalogiques de l'individu, alors que l'autel du Tertre circulaire était un lieu de recueillement important, symbolisant le centre vide. L'empereur y parvenait après un long parcours symbolique. Alors "seul dans son tête-à-tête avec le ciel, l'empereur se réconcilie avec lui-même et l'univers", rapportait François Cheng, écrivain, poète et calligraphe chinois lors d'une conférence. »
L'organe sacré des Égyptiens
Siège de l'âme et source de vie, le coeur a donné lieu chez les Égyptiens à de nombreux rites funéraires. La vie était considérée comme éphémère, et la mort, une étape à franchir pour accéder à la vie éternelle. « Durant la momification, le cadavre était épilé et éviscéré, rapporte Philippe Gorny, chirurgien cardio-vasculaire et spécialiste d'histoire de la médecine. Mais le cœur restait en place, car dans le Livre des morts, il est écrit : “Ton cœur véritable est avec toi, comme il fut lorsque tu étais sur terre. Tu pénétreras dans ton corps au jour de ta naissance.“ » Après un périple dans le «monde intérieur », le mort comparaissait devant le tribunal divin où il était soumis à une ultime épreuve : la pesée du cœur – c'est-à-dire de la conscience – par Thot, dieu de la justice. « Si le cœur était aussi léger que la plume de vérité à l'effigie de Maât, le mort devenait “juste et justifié”, et Osiris, le dieu des morts lui ouvrait les portes du paradis, dit Philippe Gorny. Le défunt pouvait jouir de l'éternité, monter sur la barque solaire et retrouver l'intégrité de son corps. Si les Égyptiens conféraient un caractère sacré au cœur, il était surtout l'organe indispensable à la réincarnation et le premier support matériel de l'âme. Il représentait l'essentiel de la vie terrestre et la conscience du défunt lors de son séjour au bord du Nil. »
______________
source : La Vie
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire