— Et ce fut le début d’une nouvelle phase de votre vie...
Oui, cette prise de conscience s’est appuyée sur la pratique du Hatha Yoga, qui a eu pour moi des effets absolument extraordinaires. Je me suis, par la suite, beaucoup interrogé sur la force transformatrice de ces exercices. J’avais comme des pans de structure mentale qui tombaient les uns après les autres. J’étais alors plus ou moins athée ou agnostique, rationaliste et matérialiste. J’ai commencé à percevoir qu’il y avait une autre réalité possible.
— Du Hatha Yoga vous êtes passé à l'Inde où vous avez rencontré Swami Prajnanpad : c’est une partie de votre vie que vous avez raconté dans vos livres. J'aimerais en venir à ce qui, de votre immersion dans la pensée de l’Inde, vous a conduit à vous lancer dans les affaires.
L’enseignement de Swami Prajnanpad était très opposé à la séparation entre un monde matériel et un monde spirituel. Il n’v a qu'un seul monde. Cette division entre le relatif et l'absolu était pour lui une erreur. Il y avait là une dualité qui devait être surmontée pour arriver à l'absolu. Le travail ne s’effectue pas par un retrait du monde, par un renoncement au monde, mais par une prise de possession du monde, par une connaissance du monde, par lesquelles ensuite on devient libre du monde.
Par ailleurs, il enseignait une voie qui passait par l'expérience des choses, et donc par la satisfaction des désirs. Il insistait beaucoup sur la notion de bogha, jouissance, qu'on oppose traditionnellement en Inde à yoga. Le yoga étant ce qui permet de se dépasser soi-même, le bogha ce qui nous maintient dans la dualité. Pour lui, au contraire, le bogha était la voie vers le yoga, l'absolu s’atteignant à travers le relatif.
Il considérait également que l’accomplissement de soi était une expansion de l’ego jusqu’à ses extrêmes limites. Il disait : « Il faut essayer de s’élargir le plus possible jusqu’à ce que l'élargissement lui-même ne soit plus possible ». Cela implique de vivre l’expérience du monde. On rejoint, en fait, la tradition du sannyasin, du moine errant en Inde, qui ne doit pas rester plus de trois nuits au même endroit. Il peut ainsi voir la variété du monde, rencontrer une grande diversité de gens, élargir toujours plus sa vision du monde. Un équivalent de cette vie d’errance est la vie des affaires, qui exige les rencontres, les contacts, l'expérience approfondie du fonctionnement du monde.
A l’époque j’hésitais entre une carrière d’enseignant - car j'étais diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes - et les affaires. Swami Prajnanpad m’a dit : " Votre nature vous porte vers l’enseignement mais la vie des affaires présente un avantage. Elle vous mettra en rapport avec des gens qui ont un désir d’argent, et qui, par cela, se révèleront eux-mêmes. C'est pour vous une opportunité de mieux connaître la vie."
— Vous vous êtes lancé dans les affaires par obéissance à votre maître ?
Obéissance, n’est pas le mot ; j'ai suivi ses encouragements. Il m'avait dit aussi : " Dès que vous aurez créé votre société vous allez vous trouver confronté à des "non" _ les "non" de la réalité de la vie." Mon désir allait se confronter à la réalité.
— On est tous pleins de désirs. La vie professionnelle est-elle un moyen de les accomplir, d'aller au bout des désirs ?
Une vie professionnelle réussie rapporte de l'argent, donc donne des moyens de satisfaire ses désirs par l’argent. Mais au delà de l'argent, on peut comparer la vie d’un chef d'entreprise actuel à celle d'un prince de la Renaissance. Il a un territoire qui est son marché, un territoire qui n'est même pas délimité par des frontières. Il est à la tête d'un gouvernement qui comporte un ministre des finances - son comptable, un ministre des affaires étrangères - le directeur de l’export, un ministre de l'intérieur - le chef du personnel, etc. L'organigramme d'une société ressemble tout à fait à celui de la cour d’un prince de la Renaissance. Le chef d’entreprise, comme le prince, peut devenir mécène, il peut rencontrer d'autres chefs d'entreprise comme le prince peut rencontrer d'autres princes, et tous deux peuvent signer des traités avec leurs homologues. Dans son entreprise, le patron a des rapports de monarque à sujet avec son personnel, il peut être tyrannique ou paternaliste. Dans tous les domaines, dans tous les aspects de la vie son pouvoir est énorme.______________________
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire