C’est d’abord un long silence, une pluie sans bruit dans la nuit, la fin rendue aux commencements. Seulement après, longtemps après, pour qui sait attendre, entendre, le silence devient lueur, silence pour les yeux, pour les mains, espace et temps ensevelis sous la même neige. Et tout est blanc, à nouveau, le ciel et ses arbres, la terre et ses chemins, l’air qu’on respire, l’air qui se déplace aussi léger qu’un flocon, et le cœur, le cœur comme un matin soyeux, le cœur qui s’émerveille, lui-même est blanc, touché par la neige, et lisse, rond, libre des traits anciens qui le vieillissaient.
Les lignes patiemment tracées, creux à creux, d’un relief à une courbe plus sinueuse, la neige les recouvre, la neige innombrable, de nulle page, si dense en son silence, de nulle forme et toutes les recréant, la neige en sa chute immobile, éparse et comme suspendue, la neige ininterrompue, qui fait du livre achevé un ciel lisse où l’oiseau apprend à marcher.
Nul envol, mais ce grand, ce vaste étalement, au souffle du silence une aile muette sur l’ombre des vallées. Nous avons perdu tout savoir, tout chemin, la barrière dérobée avec son troupeau. À travers des champs déjà moissonnés nous avançons, un peu plus haut qu’hier et sans jamais sentir sous nos pas l’épaisseur qui longtemps nous a portés. Au bout de nos membres, il n’y a plus qu’un crissement de glace ou d’étoiles, le scintillement étourdissant d’un ciel pilé, et dru, piquant, l’œil aveuglé cherchant parmi les dentelles le chemin du retour, sans comprendre, dans la transparence de la blessure, que tout seulement commence.
L’ombre bleue sous les arbres, comme à l’intérieur d’un glacier, ou comme un reflet gelé, nous rend un peu du ciel tombé sans se briser, tout l’azur dans chaque étincelle, une seule note, sur le gong de la terre à peine bombé, immense et étincelant, un seul coup, infiniment suspendu, midi arrêté, midi sur les neiges éternelles. Peut-être la mer à son zénith, qui est l’envers de la nuit, retournée avec toutes ses étoiles, ses anges, ses rêves fous, ses abîmes sans fin, au matin, à nos portes, humble et docile en son corps éparpillé, la tunique d’une lumière venue de plus loin, de plus haut que le jour. Dans son abondance la neige nous a laissé la mémoire. Les yeux gardent le vertige de cette chute longue et simple jusqu’au matin, qui s’étire dans nos gestes vagues, au bout de nos mains hagardes, nous-mêmes ne nous reconnaissant pas dans l’éclat nouveau de nos visages. Le long du chemin piétiné, un silence persiste, une lenteur assourdie, une transparence déjà s’évaporant, les secondes espacées, égales, les heures tranquillement amoncelées. Jour blanc, qu’on n’entend plus, seul présent, d’un pas au-dessus du sol, absorbant les contours qu’il recouvre, la grisante altitude couchée dans les champs, les choses soudain sans poids, laissant là, en petits monticules, leurs défroques glacées. Ô l’ombre bleutée d’un dernier soleil frôlant la neige du chemin, milliers d’étoiles suspendues à l’herbe sèche qui dépasse, et l’arbre mort, soudain, qui s’ébroue et s’envole.
Cette blancheur qui disparaît, comme s’éteint l’éclat de la montagne éblouissante, en se déchirant nous ramène sur une autre terre, un monde oublié qui remonte et s’arrête à la hauteur de nos souliers, où nous cherchons un autre équilibre. Mais le pas qui a foulé la lumière n’est plus le même. En rentrant, le regard luit d’un cristal fondu à la chaleur de nos mains.
Philippe Mac Leod est poète et écrivain. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Avance en vie profonde, un recueil de poésie, paru en 2012 aux éditions Ad Solem.
2 commentaires:
Que de poésie dans cette description d'un jour de neige...!
Oui !!!
Enregistrer un commentaire