Texte de Yannick David (du blog si près de l'horizon)
Au début de mes études la vie m'a fait rencontrer plusieurs personnes dans un cheminement dont je n'avais pas encore conscience, en particulier un étudiant en médecine qui m'initia au végétarisme, aux idées de Rudolf Steiner, et à la démarche de Frédéric Leboyer. Son livre "Pour une naissance sans violence" est sorti en 1973 et cet ami me le prêta. J'ai été très touché par ce livre tellement ça me semblait évident, naturel et simple. Quelque temps après nous sommes allés écouter Leboyer en conférence à Paris devant un parterre d'étudiants en médecine. Il montra le film qu'il avait fait sur la naissance, et exposa sa pratique, suite à son cheminement personnel en Inde auprès de Swami Prajnanpad (gourou de plusieurs français dont Arnaud Desjardins).
Son propos était de maintenir autant que possible l'ambiance qu'avait connu le fœtus dans le ventre de sa mère, au moment de sa naissance. Il a vécu 9 mois dans le noir, le quasi silence sinon les battements du cœur de la mère, l'aqueux, la douceur, la respiration par le cordon, bref un univers complètement différent de l'après naissance. La naissance classique, à l'époque, c'était : on sortait le bébé, on le tenait par les pieds, on lui tapotait les fesses, on coupait le cordon, faisant exploser les alvéoles pulmonaires qui n'avaient jamais fonctionné, d'où les cris (entre autres), il passait de la nuit à la lumière froide d'une salle d'hôpital, on le posait sur une table dure, etc... Il proposait la douceur, le contact, mettre d'abord le bébé sur la mère, pour qu'il retrouve le bruit du cœur, attendre que la respiration se fasse naturellement, puis ensuite couper le cordon...
A ma grande surprise il y eut beaucoup de réactions négatives de la part de ces étudiants qui étaient éduqués dans la non prise en considération du bébé en tant qu'être vivant (hyper) sensible. Je ne comprenais pas leur manque de conscience à ce sujet. Au bout d'un moment, Frédéric Leboyer, qui était resté d'un calme olympien tout du long, ayant compris qu'on ne fait pas changer d'avis des gens obtus et agressifs, clôtura la conférence. Son attitude calme et respectueuse m'ébranla. Comment faisait-il pour rester lui-même, tranquille, patient, non perturbé par ces ignorants imbéciles? C'était la première fois que je voyais un être dont je sentais une telle qualité. J'avais commencé à lire les livres d'Arnaud Desjardins, mais ne l'avais pas encore rencontré.
Dans sa démarche auprès de Swamiji, Leboyer revécut sa naissance, avec des forceps, ce qui l'aida d'autant mieux à comprendre le processus. Je suis aussi né avec des forceps, et ai revécu ma naissance. Ceci explique cela...
Cet ami vécut avec sa femme la naissance de leur première fille à la maison avec une sage femme pratiquant cette méthode.
Quelques années plus tard, j'eus la chance d'assister à la naissance de notre fils dans l'eau, avec un médecin qui proposait ce type d'accouchement dans un hôpital. Lumière tamisée, musique douce à laquelle on avait habitué le bébé, pose sur le ventre de sa mère, grand calme, pas un pleur...
Il a été à l'initiative d'un autre regard sur la naissance et d'un changement dans la pratique auprès de certains collègues dans le monde. Il a aussi fait des films sur le sujet.
Frédéric Leboyer a écrit une bonne douzaine de livres pour partager et transmettre ce qu'il a reçu de l'Inde. Le plus connu est "Pour une naissance sans violence", mais il y a aussi "Shantala" sur le massage des bébés, "L'art du souffle", etc... Il a écrit des livres de poésie et sur son expérience avec Swami Prajnanpad.
« Faire usage de la douceur, c’est s’armer du pouvoir de désarmer la violence. La plupart de mes idées, je les ai faites passer en douce. Mes combats, je les ai menés en douce. La violence, malgré ses dégâts, m’est toujours apparue faible. Elle est impulsive et désordonnée. Elle porte un défaut qui la condamne d’emblée : elle manque de conviction. De fait elle ne peut jamais gagner bien longtemps.
La douceur, elle, réfléchit comme un organisme végétal autonome qui croît, même sans lumière. Elle est une forme supérieure d’intelligence. Elle suppose d’abord d’être complice avec soi-même : je me suis aperçue que bien souvent, une personne violente est une personne qui souffre. Une personne douce est quelqu’un qui a déjà fait la paix avec ses cataclysmes intérieurs.
Il faut nuancer pour ne pas confondre : la douceur n’est pas la mièvrerie. Les deux ne se ressemblent ni dans la forme ni dans le fond. Quand j’évoque la douceur, je parle de l’art ingénieux de savoir glisser sur les conversations, sur les conflits et sur les malheurs. Il ne s’agit pas de dénier la vérité mais d’encaisser le réel et de le fondre dans tout ce qu’on porte de poétique en soi — un mélange de tact, de subtilité et de conscience des choses — afin d’apprecier les événements avec recul et répondre de la manière la plus efficace.
À quoi tout cela sert-il ? À conserver ce qui rend digne tout humain : rester soi quoi qu’il arrive. L’authenticité est une grâce qu’on ne peut ni feindre ni acheter. Sans cette boussole nous prenons le risque d’égarer l’essentiel : la beauté de nos âmes. La violence n’étant rien d’autre, finalement, qu’un miroir déformant.
La douceur, elle, est une terre sauvage et paisible. Elle exige de la souplesse mentale et de l’ouverture d’esprit ; un travail d’équilibriste que la violence ne maîtrise pas.
La violence l’ignore mais elle est si raide, aride et arc-boutée, qu’elle est condamnée à ne jamais grandir, contrairement à la douceur qui elle seule donne naissance à l’espoir, cet acte militant unique qui ouvre tous les champs des possibles. »
Comment être en paix avec les autres si je ne suis pas en paix avec moi-même ? Si je me maltraite, me punis, me culpabilise sans cesse ? Longtemps, je m’en suis voulu d’être en vie. Puis un jour, je me suis pardonné. Je me suis accueillie humblement, avec mes peurs et mes colères, mes souffrances. J’ai fait la paix avec cette part de moi-même que j’avais oubliée. Lorsque vous êtes vous-même, l’autre vient naturellement vers vous, car il y a quelque chose en vous de cet Esprit saint qui l’attire, et le pacifie.
2. Veiller sur la famille
Je me retrouve aujourd’hui entourée de mes quatre enfants, 11 petits-enfants et 2 arrière-petits-enfants – Hitler n’a pas gagné ! Ma famille est pour moi le premier cercle de la société, la cellule primordiale où se transmet l’amour de la vie ou la violence. « Nos parents nous disent d’être gentils, mais ils se disputent, s’étripent, s’humilient… », me disent souvent les jeunes. Quel exemple leur donnons-nous ? C’est de l’harmonie dans la famille que dépend la paix du monde.
3. Aimer
Il dépend de chacun de choisir d’être humain ou d’humilier, de devenir violent ou de pacifier, de condamner à mort par un jugement ou de sauver par un sourire. Un seul regard peut tuer ou redonner la vie. Il y a le meilleur et le pire en chacun. Nous sommes sur terre pour donner le meilleur de nous-même en nous donnant, et pour appeler l’autre dans le meilleur de lui-même. Cela passe par des petits riens qui sont de puissants contre-pouvoirs à la violence et à l’indifférence.
4. Rendre grâce
Mes traversées m’ont fait comprendre que rien ne m’est dû. Que tout est don. Plutôt que de revendiquer son droit, ouvrons-nous à l’autre. Ne nous couchons pas le soir sans rendre grâce pour les petits bonheurs (les « bonnes heures ») de la journée écoulée. Pour ce sourire, ce regard, ce geste qui nous a donné des ailes.
Fabrice Jordan : "C'est la nuance et la gestion tranquille de la conscience de multiples complexités interdépendantes qui sauvera le monde.
Ni le nivellement des propos, ni aucune position figée ne permettent de comprendre l'aujourd'hui, ni de tisser un demain qui respire.
Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque nous explosons de colère ?
[Interview] Se mettre en rage, voir rouge, péter les plombs : ces phénomènes physiques que nous connaissons tous prennent naissance dans notre cerveau. Plongée dans ces circuits neuronaux bien mystérieux avec le neuroscientifique américain Douglas Fields.
Un jour, alors qu’il se trouvait à Barcelone, en Espagne, Douglas Fields a fait lui-même l’expérience d’un déchaînement de colère. Ce matin-là, accompagné de sa fille alors âgée de 17 ans, ce neuroscientifique est victime d’une tentative de vol en pleine rue. Il surprend le pickpocket et le plaque aussitôt au sol avec rage avant de récupérer son portefeuille. Comme en pilotage automatique. D’où lui venait cette violence inouïe ? Pour répondre à cette question, il a écrit un livre, Why we snap ? (non traduit en français), dans lequel il décrypte les mécanismes cérébraux inconscients qui nous font voir rouge.
Pouvez-vous décrire ce qui se passe dans le cerveau d’une personne qui a un accès de violence ?
Casser une assiette sous l’effet de la colère ou briser un club de golf après avoir raté un coup sont des actions violentes impulsives et soudaines qui dépassent notre volonté consciente. Nous avons tous cette capacité inscrite dans notre cerveau. Celle-ci est nécessaire à notre survie d’un point de vue biologique.
En tant qu’espèce, nous devons nous protéger, sécuriser nos familles et nos ressources dans la perspective de la lutte pour la survie dans la nature, là où le cerveau humain a évolué. Des études récentes ont identifié les circuits cérébraux spécifiques qui sont responsables du comportement violent.
Le centre de ces circuits se trouve au plus profond de notre cerveau, dans une région où les comportements automatiques et essentiels à la vie sont contrôlés, comme l’alimentation et la sexualité. Cette partie du cerveau (l’hypothalamus) échappe à notre conscience qui est, elle, générée dans la couche externe du cerveau, le cortex cérébral.
Problème : notre cerveau conscient est beaucoup trop lent pour répondre rapidement et de manière efficace à une menace soudaine. Nous disposons donc de ce mécanisme très rapide et inconscient qui permet de déclencher une agression en réponse à une menace. Lorsqu’une personne craque soudainement et avec violence, ce sont ces circuits neuronaux conçus dans un but défensif qui s’activent, mais souvent de manière inappropriée.
Vous écrivez que la conduite automobile est un moment particulièrement sensible. Pourquoi ?
Nous ne pétons les plombs que dans certaines situations bien précises liées à notre survie. J’ai identifié neuf déclencheurs des comportements violents, que j’ai nommés les « lifemorts ». L pour life (« vie ») lorsque notre vie est menacée ; I pour insult (« insultes ») lorsque notre honneur est touché ; F pour family (« famille ») lorsque nos proches sont en danger ; E pour environment, lorsque notre territoire est envahi ; M pour mate (« conjoint ») lorsque nous risquons de perdre notre partenaire ; O pour organization, quand l’ordre de la société est remis en question ; R pour resources, lorsque nos besoins fondamentaux ne sont plus comblés ; T pour tribe (« tribu »), quand une menace pèse sur notre groupe et S pour stopped, lorsque nous nous sentons piégés physiquement.
Or la conduite peut déclencher les neuf Lifemorts ! Par exemple, quand une voiture vous fait une queue de poisson et envahit votre voie (E). Ou encore lorsque l’ordre de la société est remis en question par le conducteur à côté qui ne respecte pas le code de la route (O). Quand nous sommes bloqués pendant des heures dans un embouteillage (S)…
Attention, ces circuits neuronaux nous sont très utiles : nous en avons vraiment besoin. Ce sont d’ailleurs les mêmes circuits qui sont responsables de l’héroïsme désintéressé, comme lorsqu’une personne vient en aide à une autre menacée, au risque de perdre elle-même la vie.
Il peut donc se passer la même chose dans le cerveau d’un meurtrier et dans celui d’un héros… Pourquoi certains arrivent-ils alors à se contrôler quand d’autres sont débordés par leur agressivité ?
Cela dépend d’abord du contexte et de la situation. En période de stress chronique, le seuil d’activation des déclencheurs de l’agression s’abaisse. Et c’est logique ! Le système de détection et de réponse aux menaces du cerveau se trouve alors en état d’alerte.
Le stress chronique est ainsi le principal facteur de risque de violence. On peut donc tenter de prévenir ces accès de colère. Dire à quelqu’un qui est très stressé ou qui voit rouge de se calmer est rarement efficace… Le mieux est de commencer par prendre conscience que nous sommes plus susceptibles de nous emporter violemment lorsque nous sommes soumis à un stress chronique.
Il faut donc prendre des précautions supplémentaires. Le fait d’arriver en retard au travail, par exemple, augmente le stress et la probabilité de faire une crise de rage au volant. Mais on peut éviter d’être en retard au bureau en s’organisant mieux ! D’autres stress, en revanche, échappent à notre contrôle : les difficultés financières, la maladie, les problèmes relationnels. Lorsque nous vivons un grand stress, il est important d’être conscient que nous sommes davantage susceptibles de perdre le contrôle.
Pensez-vous que certaines personnes sont plus enclines à la violence que d’autres ?
Oui, les hommes d’abord : 95 % de tous les prisonniers violents sont des hommes. Dans de nombreuses espèces, les mâles sont agressifs. C’est vrai pour les primates et pour les humains.
Ensuite, certaines personnes sont plus prédisposées à la violence que d’autres. Le cortex préfrontal (situé derrière le front) contrôle les circuits de détection des menaces et d’agression du cerveau. Or, ce circuit peut très bien être altéré par des blessures, des maladies, des facteurs génétiques, des expériences vécues au début de la vie et des drogues.
La plupart des crimes violents impliquent d’ailleurs une toxicomanie. L’imagerie cérébrale montre un taux très élevé d’anomalies dans ces régions du cerveau chez les prisonniers violents par rapport aux prisonniers non violents ou au grand public. Il est aussi important de reconnaître que ce circuit de contrôle des impulsions et de l’agressivité n’est pas entièrement développé chez les adolescents.
Ce fonctionnement cérébral n’est pas adapté à la société moderne…
Nous avons le même cerveau qu’il y a 100 000 ans, mais nous vivons dans un environnement totalement différent, pour lequel notre cerveau n’a pas été conçu ! La vie moderne, avec ses communications à grande vitesse, ses déplacements et sa promiscuité, augmente les risques de déclencher les circuits neuronaux de la violence de façon anarchique.
Le déclencheur T (tribu, groupe) de la violence en est un exemple. Il y a des milliers d’années, les humains connaissaient probablement chacun des membres de leur groupe. Une rencontre avec un groupe étranger constituait en soi une menace. Le déclencheur T est à l’origine de la violence dans les gangs, de la violence religieuse, raciale et du terrorisme. La communication instantanée via Internet, et les transports à grande vitesse augmentent les possibilités de rencontre entre des personnes différentes, donc les risques de violence.
Dans
trop de démarches de compréhension et de « soins » il y a confusion
entre la recherche de la cause (pour expliquer, justifier la maladie) et
la tentative d’en comprendre le sens.
Trop
souvent, en effet, nous donnons une explication à la maladie,
c’est-à-dire que nous trouvons une cause matérielle ou physiologique ou
une cause psychologique. « Depuis que mon mari m’a quittée, j’ai des
insomnies ».
Cette
tentative d’explication d’une somatisation, d’un dérangement, d’un dysfonctionnement constitue pour moi un leurre. Il ne s’agit pas de
rechercher la cause, l’explication de la maladie, du traumatisme mais
bien sa signification, c’est-à-dire concevoir la maladie comme un
langage dans une chaîne de signifiants qui nous échappe. Ainsi les
insomnies de cette femme peuvent avoir comme sens une auto-privation,
une punition qu’elle s’inflige pour avoir désobéi à son père qui lui
avait dit: « tu ne dois pas te marier avec un type comme ça, tu me
déçois beaucoup ». Cherche-t-elle ainsi à renouer avec son père, à lui
marquer son allégeance: « tu avais raison papa, regarde comme je suis
punie ». Nous n’en savons rien, mais en « travaillant » sur la recherche
du sens, plus que de la cause, nous obtenons souvent un changement, un
abandon du symptôme, une restructuration d’une relation essentielle.
Quelle
signification prennent ces otites chez ce bébé? « Maman, tu ne
m’entends pas, tu n’entends rien ». C’est bien d’oreilles à déboucher
qu’il s’agit, mais pas de celles que l’on croit.
Combien
de psoriasis invincibles, traités, soignés depuis plusieurs années par
des dermatologues compétents… mais parfois sourds, vont « éclater », se
dissoudre littéralement quand la violence qui les contient pourra se
dire.
La
colère terrible de cette femme de trente-deux ans contre sa sœur qui
lui avait volé le prénom de sa poupée… à cinq ans, lui permettra de «
lâcher » un psoriasis tenace… qui ne demandait qu’à être entendu !
C’est
le retour du refoulé qui va libérer ces points de fixation, d’ancrage
et permettre de lâcher prise sur une « inscription, un germe de conflit,
un point de tension ».
Bien
sûr, la mère de cette jeune adolescente de treize ans ne sait pas
qu’elle inscrit dans le corps de sa fille un « jugement sans appel »
contre ces gens qui ne savent pas aimer une seule personne à la fois »
(elle parlait peut-être de son ami qui a plusieurs relations). Et quand
cette jeune fille de quinze ans va se sentir attirée par deux garçons à
la fois… elle sera prise de violentes crises (diagnostiquées comme
crises d’appendicite) – c’est son conflit qu’elle dira (je tiens à eux, à
tous les deux) ou son attachement à sa mère (je ne veux pas la
décevoir) et à l’image qu’elle a intériorisée (je ne veux pas être vue
comme une fille facile ou une putain..). A la troisième crise (quelques
minutes avant de partir à l’hôpital pour l’opération de l’appendice), un
échange avec un ami de passage « ouvrira » le conflit, fera éclater «
l’abcès » de ses contradictions et lui permettra de s’accepter mieux
dans ses attirances multiples.
Stéphane
a huit ans, c’est le soir de son anniversaire. Sa mère, célibataire, a
réuni autour de lui ses grands-parents et une tante. Tout s’annonce
bien, il est joyeux, détendu. Et puis le téléphone sonne, c’est l’ami de
sa mère qui souhaiterait passer quelques jours avec elle. Elle
l’invite, donc. Très peu de temps après l’arrivée de l’ami, Stéphane
commence une poussée fébrile, il sera ausculté, palpé avec prise de
température, il a 40°8. Il s’alitera. Le repas d’anniversaire se passera
sans lui… autour de l’ami de maman.
Cette
petite fille de dix ans et demi rentrant de camp de ski fut prise de
maux de ventre violents, de vomissements, de malaises. Cela dura plus de
deux mois jusqu’au moment où elle put dire à sa grand-mère qu’elle
avait embrassé un garçon sur la bouche et qu’elle avait entendu à la
radio que le sida pouvait s’attraper par le baiser.
Paule,
mariée depuis douze ans, deux enfants, est enceinte pour la troisième
fois. Son mari n’accepte pas sa grossesse et lui dit: « si tu gardes ce
troisième enfant… je divorce. » Paule fera une IVG et depuis, elle a des
hémorragies importantes, brutales, irrégulières. Sur le plan physique «
tout est en règle ». Qui lui permettra « d’entendre » où se trouve sa
blessure? Qu’est-ce qui saigne en elle? Qui l’écoutera pour qu’elle
entende, elle, cette partie blessée qui s’est révélée avec
l’interruption de grossesse? Paule mettra ainsi six ans (avec l’aide
d’un tout petit évènement) pour découvrir et reconnaître que ce qui
était blessé, « fissuré » en elle, c’est la relation avec son mari.
L’enjeu qu’il avait posé, « c’est moi ou l’enfant », avait cassé quelque
chose dans leur relation… et le sang des hémorragies disait cette
béance entre eux.
Il
s’appelle Jean et c’est le prénom du frère de la mère, mort très jeune.
Il porte ce nom comme une trace, celle de la blessure vécue par sa
mère, petite fille, qui adorait ce grand frère. Comment peut-il avoir du
plaisir et se présenter comme un être de sensualité? Sa fidélité… lui
dictera de s’autopunir, de s’anesthésier au niveau des sens et du
plaisir et de ne pas entretenir trop vivante la vie qu’il porte. Jean a
une relation suivie avec une jeune femme depuis six ans, mais il
n’éprouve « aucun plaisir avec elle ». Ses érections ne le conduisent
qu’à s’introduire puis à attendre… et il ne se passe rien. Son «
impuissance » à entrer dans le plaisir le conduit à consulter un
sexologue.
Pierre
est un Israélien qui fait ses études en France. Il fréquente une jeune
fille avec laquelle il vit et dans quelques mois, il aura son diplôme
d’ingénieur. Ses parents décident de venir le voir, avec l’intention de
lui rappeler ses engagements à l’égard de son pays, c’est-à-dire qu’il
devra rentrer après son diplôme. Pierre est partagé, il aime son amie,
il s’est attaché à la France et n’envisage pas de rentrer « tout de
suite » dans son pays. Quand ses parents décident d’abréger leur séjour
et de repartir, Pierre propose de les accompagner en voiture à
l’aéroport. Sur l’autoroute, juste à quelques kilomètres de l’aéroport,
il s’arrête dans un parking pour satisfaire un besoin élémentaire et… en
descendant simplement de sa voiture… il se casse une jambe (double
fracture, hospitalisation, plaques de fixation…). Pierre, lui, ne croit
pas du tout que cet « accident » a un quelconque rapport avec son
conflit et sa relation à ses parents… ou à son amie. Si nous ajoutons
que la première épreuve de son examen devait avoir lieu la semaine
suivante… qui faudra-t-il convaincre ?
Jeanne
a décidé de se marier quoi qu’il arrive avant la fin de l’année. Le
jour du réveillon du nouvel an, au cours du repas, elle s’engage à
l’égard d’un ami, de façon impromptue mais formelle… Toute sa famille
est présente. Et le lendemain matin elle se réveille « malade comme une
bête ». Pendant trois mois, elle sera malade tous les jours avec les
mêmes symptômes (maux d’estomac, brûlures, maux de tête…). Au bout de
trois mois elle part au Maroc avec son ami et décide de prendre la
pilule. Au retour, les symptômes s’amplifient et se polarisent sur les
huit jours précédant les règles. « Chaque mois pendant toute une semaine
j’étais malade à en crever ». Elle se marie à l’automne et pendant
seize ans elle sera ainsi chroniquement malade, dérangée, en souffrance
plusieurs jours par mois… sauf dans les deux périodes de sa grossesse. «
Les nausées de la grossesse, connais pas… ». Dans son couple, pendant
toutes ces années, pas de disputes, pas de reproches, pas de
revendications. « Jamais un mot plus haut qu’un autre, mais jamais plus
bas non plus… ». « Nous étions vus comme le couple idéal ». Un jour un
conflit éclata entre son mari et elle. « Une sorte de révolte m’a prise.
J’ai hurlé, je suis malade depuis que je te connais, je n’avais rien eu
avant… Tu te présentes comme une victime mais c’est moi qui suis
coincée dans notre relation ». Après cette « sortie » sauvage,
véhémente, mes maux disparurent et je retrouvai ma santé de jeune fille…
mais la relation avec mon mari, elle, devint difficile, c’est-à-dire
réelle. J’avais commencé à changer et surtout à reconnaître combien mon
engagement du réveillon de fin d’année était un passage à l’acte et non
un véritable désir… que j’avais payé pendant tant d’années avec mes
somatisations. J’ai pu dire plus tard à mon mari que la colère que
j’exprimais envers lui, c’était contre moi que je l’avais de m’être
dupée moi-même. »
Marie,
mère de trois enfants, a perdu à neuf ans son père qui en avait
trente-neuf. Elle se souvient bien de l’évènement. Elle faisant ses
devoirs à la fin de l’après-midi, à la « tombée de la nuit », quand son
père s’est levé, a fait quelques pas puis est tombé comme une masse près
de la cheminée. Pendant des années elle a vécu ce moment précis, la «
tombée de la nuit », avec agitation, irritation, « une sorte de malaise
». Elle reliera son comportement au souvenir de la mort du père le jour
même de son anniversaire… à trente-neuf ans.
Les
associations de dates sont inscrites en nous et se réactivent à des
moments-clés pour dévoiler une situation difficile ou inachevée.
«
Chaque fois que je me mets en situation conflictuelle sans pouvoir
exprimer ma position, sans pouvoir être entendu, j’ai un incident, un
accident de voiture, jamais grave mais… coûteux (tôles froissées,
phares, portières, roues…). Aussi j’ai pris l’habitude, après un conflit
non ouvert, de prendre un taxi… »
Esquisses thérapeutiques
Si
nous acceptons que les « maux » produits par le corps (et qui
deviennent parfois des maladies et des somatisations fonctionnelles)
sont des langages symboliques, cela veut dire qu’il sera possible de les
soigner non à partir de leur symptôme mais à partir du sens, du
discours caché dans lesquels ils s’inscrivent, et de les traiter par des
réponses symboliques. Ainsi nous proposons parfois des « réponses
symboliques » qui vont être entendues et devenir des éléments actifs
dans la guérison ou provoquer la disparition des symptômes.
Le
petit Thomas, six ans, a depuis deux ans et demi de l’asthme. Son père a
quitté la mère quand il avait trois ans et demi (c’est l’élément
déclencheur). Il joue seul, refuse d’intégrer frère ou sœur dans ses
jeux, refuse la vie sociale proposée par la mère, se coupe de tout. Il
dit souvent: « j’aime pas l’air de cette maison, je préfère l’air de
papa ». Nous proposons à la mère d’utiliser une grande bouteille
(appelée Dame-Jeanne) sur laquelle elle collera une étiquette: «
Bonbonne d’air de papa », avec un petit tuyau pour aspirer. Et ce
jour-là, Thomas joue dans sa baignoire, appelle sa mère et lui dit: «
regarde, je fais le poisson, je respire sous l’eau ». Elle nous dira: «
il n’a plus fait de crise d’asthme de ce jour. »
Nous
proposons aussi ce que nous appelons des jeux, des prescriptions
symboliques portant sur un aspect du discours ou du symptôme entendu
comme ayant une forte charge symbolique. Il nous est arrivé de prescrire
à une personne de faire écouter du Mozart à ses reins ou à son foie. De
faire visualiser sa nuque comme une éponge desséchée qui se gonfle
lentement, lentement d’eau en descendant dans la mer…
Le
petit René, quatre ans et demi, va à l’école maternelle pour la
première fois et dès le troisième jour se met à faire caca dans sa
culotte. Son père se fâche, le menace et lui promet une raclée s’il
continue « car tu es grand maintenant ». René dira à sa mère: « je ne
peux pas me retenir, ça sort tout seul, ça pousse et ça sort ». Nous
proposons à sa mère de lui raconter sa naissance. Elle éclate en
sanglots: « je ne lui ai jamais parlé de ça pour ne pas le traumatiser,
il est né par césarienne ». Elle accepte cependant de lui dire son vécu à
elle, la décision prise par l’obstétricien… Elle nous dit que les
difficultés anales de René ont disparu dès le lendemain de ce récit.
Cet
enfant avait douze ans lorsque son père s’est suicidé par pendaison. Le
silence autour de cet évènement tant du sa famille que dans sa vie fait
que souvent il a mal au larynx (étouffements, étranglements). Pendant
trente ans de sa vie, il subira de multiples opérations: amygdales,
kyste, ganglions autour de la gorge, du cou, de la nuque. Dans un jeu
symbolique il parlera à son père et lui dira sa colère… et son amour, sa
fidélité aussi à travers toutes ses cicatrices. Autant de preuves de
l’existence de ce père qui s’est dérobé trop tôt… et à qui il a été
impossible de dire « je t’aime et je t’en veux ».
En conclusion provisoire…
Dans
cette démarche qui consiste à écouter les maux du corps pour mieux
l’entendre se dire, l’écueil à éviter sera la confusion entre la cause
et le sens. Nous avons trop tendance à rechercher la cause, c’est-à-dire
l’explication d’une chose. Nous remplaçons trop facilement la
compréhension qui est une recherche du signifié par l’explication qui
est une recherche de savoir, de contrôle et de maîtrise.
Trop
souvent nous parlons de notre corps… nous parlons sur lui au lieu de
lui laisser la parole. Nous pouvons aussi « parler » à notre corps avec
des langages symboliques.
Nous
avons surtout le besoin d’être entendus, d’être écoutés plus que d’être
contrôlés. La qualité de la relation avec autrui passera par notre
capacité à être un meilleur compagnon pour soi-même mais ceci est déjà
une autre histoire.
* * * * *
BIBLIOGRAPHIE
PARLE-MOI, J’AI DES CHOSES À TE DIRE, par Jacques SALOMÉ, Ed. de l’Homme
RELATION D’AIDE ET FORMATION À L’ENTRETIEN, par Jacques SALOMÉ, P.U.L. Lille
LES MÉMOIRES DE L’OUBLI, par Sylvie GALLAND et Jacques SALOMÉ, Ed. Le Regard Fertile
1La pire des solitudes, ce n’est pas d’être seul, c’est d’être un mauvais compagnon pour soi-même.
2Nous
savons tous le nombre d’infections vaginales, tenaces, douloureuses,
qui s’installent sans « causes » évidentes, avec des analyses négatives.
Elles disent souvent les malentendus, les refus non exprimés, les «
violences » relationnelles
Le 30 janvier 1948, Gandhi était assassiné par un fondamentaliste hindou. À l'occasion des 70 ans de sa mort parait en France Le Pouvoir de la colère (Ed. Marabout) écrit par son petit-fils Arun Gandhi, qui a vécu deux ans avec lui. Pour lui, les préceptes de non-violence prônés par Gandhi sont toujours d'actualité. "Aujourd'hui, nous voyions tellement de violence partout dans le monde qu'il est venu le temps de repenser à la non-violence pour canaliser la colère", explique au micro de RTL Arun Gandhi, âgé de 83 ans.
L'homme Gandhi n’a pas toujours été à la hauteur de ses paroles et de son prophétisme. Gilles Van Grasdorff, qui vient de publier les Vies cachées de Gandhi(Cerf) et Éric Vinson, coauteur avec Sophie Viguier-Vinson de Mandela et Gandhi. La sagesse peut-elle changer le monde ? (Albin Michel) en conviennent. Ils invitent pour autant à ne pas disqualifier un homme exceptionnel.
On connaît la quête spirituelle de Gandhi, transcendant les religions, sa posture non violente, son combat indépendantiste. Mais sa face cachée apparaît désormais et fait de l’ombre à sa légende. Que peut-on dire de sa vie familiale ?
Gilles Van Grasdorff. Né en 1869 dans une famille de commerçants aisés, il a été marié à 13 ans, selon la tradition. Avec son épouse Kasturbai, les débuts se passent mal. Dès ses 19 ans, après une terrible crise d’adolescence, il entame une quête de spiritualité, de vérité, qui va durer toute sa vie. Il s’était promis de former son épouse, illettrée, mais ne l’a pas fait. Il l’a souvent délaissée, parfois battue, et lui a imposé la chasteté. Mais Gandhi n’a jamais répudié Kasturbai, ce qu’il aurait pu faire dans ce monde violent. Et elle est morte dans ses bras, en 1944.
Éric Vinson. Gandhi est un homme de son temps, dans un monde où l’épouse obéit à son mari. Il se révèle prophétique mais en parole, en se disant par exemple favorable à l’égalité homme-femme dans le mariage, sans la mettre en pratique. Cela heurte nos valeurs. Comprenons que Gandhi se situe très loin de notre culture. La chasteté conjugale, hormis dans quelques milieux catholiques, nous est incompréhensible.
G.V.G. En Inde, cette pratique traditionnelle relève de la brahmacharya – la maîtrise de soi, le renoncement. De même, on lui a reproché d’imposer à ses nièces de dormir nues à ses côtés. Mais sans relations sexuelles. Il s’agissait pour lui d’exercices de résistance au désir.
Sa prétendue homosexualité a fait scandale.
G.V.G. En Afrique du Sud, où Gandhi travaille comme avocat de 1893 à 1914, il a entretenu une relation intime avec Hermann Kallenbach. Ce Juif allemand, architecte de renom, s’installe avec Gandhi et abandonne tout pour lui. Leur amour dépasse la sexualité. L’important est le lien spirituel de fraternité. Et le Kama-sutra parle de l’homosexualité sans condamnation. Kallenbach finance sa lutte pacifiste, comme toutes ses expériences de diététique et de végétarisme. Avec lui, Gandhi écrit les plus belles pages de sa vie, et fait naître le satyagraha (la non-violence active).
Mais peut-on changer le monde en étant homme de compromis ? Les œuvres complètes de Gandhi font 100 volumes !
Gandhi était-il un homme autoritaire ?
É.V. Son côté autoritaire semble lié à sa quête viscérale, radicale, à l’intensité de son action, de ses idéaux. Il peut faire penser à l’Hernani de Victor Hugo, affirmant : « Je suis une force qui va ! » Son attitude cause des dégâts sur ses proches, dont il ne se préoccupe guère. Sa famille devait suivre, de même que l’intendance… Mais peut-on changer le monde en étant homme de compromis ? Les œuvres complètes de Gandhi font 100 volumes ! C’est un génie, le créateur d’une forme de vie, un peu comme François d’Assise. Or, les grands hommes ont tendance à tout écraser sur leur passage. Et leur existence est rarement à la hauteur de leur œuvre. Mais pour Gandhi, qui disait « ma vie est mon message », c’est plus gênant que pour d’autres.
G.V.G. Gandhi était un « sale bonhomme », caractériel, dur avec son épouse, avec ses enfants. En partie parce qu’il n’arrive pas à se situer spirituellement, fréquentant des musulmans, des chrétiens, des jaïns et des théosophes, ce mouvement spirituel et ésotérique lancé en 1875 à New York, qui veut mener l’homme à la sagesse et faire advenir une fraternité universelle. Sans adhérer formellement à la Société théosophique, Gandhi a été très influencé par ses animateurs, notamment Annie Besant (1847-1933).
Le Gandhi politique interroge également. Comment le héros de l’indépendance de 1947 a-t-il été si longtemps très fidèle à l’Empire britannique ?
É.V. Attention aux anachronismes. Le Gandhi universaliste, héros de l’indépendance, s’est construit durant des décennies. Comme la plupart des enfants de sociétés colonisées, il est d’abord fidèle à l’Empire. Son premier mouvement consiste à demander à Londres l’égalité civique pour les Indiens, d’ailleurs promise par la reine Victoria dès 1858. Longtemps loyaliste, il entre en rébellion peu à peu, et de façon claire à la fin de la Grande Guerre seulement.
Le Gandhi universaliste, héros de l’indépendance, s’est construit durant des décennies.
G.V.G. Influencé par les théosophes, qui rêvaient à une future indépendance, il décide de soutenir l’Empire. Ne pouvant se battre du fait de sa santé, il crée à Londres une section de secouristes, l’Indian Ambulance Corps, comme quelques années auparavant en Afrique du Sud, lors de la guerre des Bœrs. En août 1914, il lance un appel à s’engager aux côtés des forces britanniques et canadiennes. Quelque 1,7 million d’Indiens partent pour le front en Europe. Gandhi et les nationalistes indiens espèrent que, en mettant en sommeil la lutte contre l’Empire britannique, celui-ci leur offrira l’indépendance. Ils ne l’ont obtenu qu’après la Seconde Guerre mondiale, le 15 août 1947.
É.V. Avec les Britanniques, Gandhi vit un rapport ambivalent de haine-amour, de fascination réciproque. Dans sa quête d’identité, il incarne une première mondialisation, celle de la Belle Époque. Un moment d’explosion des relations entre les cultures. Entre Inde, Afrique du Sud et Angleterre, Gandhi vit sur trois continents !
L’un des buts du satyagraha est de convertir l’adversaire, fût-il le diable.
Ses relations avec Hitler sont aussi problématiques. Dans une lettre, Gandhi l’appelle « cher ami »…
É.V.Gandhi est tout à fait cohérent : il s’adresse aux ennemis, comme à tout le monde. L’un des buts du satyagraha est de convertir l’adversaire, fût-il le diable. Aujourd’hui, on se sert de ces lettres contre lui, alors qu’il fut l’un des seuls à essayer de parler à ce démon, de le rappeler à son humanité.
G.V.G. Il porte en lui l’amour des ennemis, à la suite de Jésus-Christ. Il est fasciné par le Sermon sur la montagne. Sans aucune naïveté, dans ses lettres de juillet 1939 et de décembre 1940, Gandhi cherche vraiment à amener Hitler au satyagraha.
É.V. Face à la catastrophe mondiale qui débute, il se sent un devoir moral d’essayer de convertir l’extrême violence, envers et contre tout. Pour le philosophe Vincent Cespedes, le héros fait « tout ce qui est en son pouvoir pour rendre possible l’impossible ». De nos jours, Gandhi aurait écrit au chef de Daech. Peut-être idéaliste, il avait espoir dans la nature humaine, même chez le tyran le plus endurci.
Que dire de son rapport aux Noirs sud-africains et des accusations de racisme ?
É.V. Quand il arrive en Afrique du Sud en 1893, Gandhi se voit comme un gentleman anglais, qui s’identifie au colonisateur. Et au départ, il lutte contre l’assimilation des Indiens aux kaffirs (« nègres ») par les Blancs. Aujourd’hui, cela nous choque… Mais, brancardier lors d’une révolte, il réalise la violence extrême de l’armée anglaise contre les Zoulous. Tardivement, vers 1910-1911, il rompt enfin avec tout racisme. S’il a trop longtemps porté les mêmes œillères que tout le monde, il a aussi ouvert les yeux plus vite que la plupart. On l’ignore trop souvent aujourd’hui, et l’on déboulonne ici ou là ses statues. Regardons plutôt sa trajectoire.
S’il a trop longtemps porté les mêmes œillères que tout le monde, il a aussi ouvert les yeux plus vite que la plupart.
Peut-on l’accuser de manque d’humilité ?
G.V.G. L’humilité apparaît dans les mots de Gandhi, dans toute son œuvre. Seule compte pour lui la quête de vérité et de Dieu. Pour mener son action en Afrique du Sud et aux Indes, il fallait être hors norme.
É.V. Vouloir changer le monde témoigne d’un certain manque d’humilité, n’est-ce pas ? À moins que ce ne soit justement en diffusant l’humilité que Gandhi a tenté une aventure aussi surhumaine.
Faut-il encore définir Gandhi comme un saint, un modèle, un héros ?
G.V.G. Pour moi, la sainteté n’existe pas chez l’être humain. Comme nous tous, Gandhi a cherché à se connaître, à se réaliser, à se découvrir. Or, Gandhi n’a jamais vraiment découvert qui il était.
É.V. Saint, héros, sage : Gandhi combine ces catégories. On imagine les saints « unidimensionnels » et confits en religion. C’est une erreur. Ils sont humains, donc multiples et en mouvement. L’hagiographie les a réduits à une image d’Épinal. Or, selon Nelson Mandela, « un saint est un pécheur qui cherche à s’améliorer », et le Mahatma n’aurait pas dit autre chose. Gandhi n’est ni un ange ni un démon : riche d’une ardeur idéaliste hors du commun, il demeure un humain, avec toute sa complexité. Mais aussi un modèle, car nous avons besoin de ces derniers pour nous construire, notamment les jeunes. Certains enferment tel personnage dans sa supériorité, en le jugeant d’une autre espèce que la nôtre. Je préfère penser que, en connaissant mieux et en osant admirer une figure comme Gandhi, il est possible de grandir.
Une vie de lutte
1869 Naissance de Mohandas Karamchand Gandhi, à Porbandar (Gujarat, Inde). 1888-1891 Études à Londres. Il rentre en Inde deux jours après avoir été admis au barreau. 1893 Conseiller juridique en Afrique du Sud (il y restera plus de 20 ans). 1904-1906 Théorisation et mise en pratique de son principe de protestation non violente (satyagraha). 1915 Retour en Inde. Fondation d’un premier ashram dans le pays. 1919 Massacre d’Amritsar : lors de protestations, des Indiens commettent des violences. Les autorités britanniques font tirer sur la foule. 1922 Condamné à six ans de prison, il en fait deux. 1930 Marche du sel. 1942 Appel à la grève générale pour forcer les Britanniques à quitter le pays. 1947 Indépendance de l’Inde. 1948 Il meurt assassiné par un nationaliste hindou, à Delhi.
Nous apprenons ce qu'aimer veut dire à partir de trois expériences fondatrices :
1/ Au creux des bras maternels qui nous ont tenus.
2/ À partir de la façon dont notre père s'est imposé ou non à cette relation privilégiée; et cela à la fois parce que, par son désir pour lui, la mère a fait une place à son mari et parce que le père a assumé cette place.
3/ Et aussi à partir de la manière dont les parents s'aimaient entre eux; un enfant a existentiellement besoin que ses parents s'aiment en se reconnaissant dans leurs différences. Si tel est le cas, c'est le gage pour l'enfant qu'il pourra se permettre à son tour d'être différent, sans craindre de perdre l'amour de ses parents.
Nicole Jeammet
«les violences morales»
Odile Jacob
Mon enfance a baigné dans la violence. Mes quatre frères, mes quatre grands-parents et la quasi-totalité du reste de ma famille ont été déportés et tués par les nazis. C’est d’ailleurs ce qui a orienté mes choix professionnels : j’ai décidé de consacrer ma vie à la lutte contre la violence, en particulier en mettant au point cet outil qu’est la thérapie sociale. Il nous faut reconnaître la colère. L’institut que je dirige forme les gens à la transformation de la violence. Au cours de ces sessions, ils apprennent à admettre qu’elle existe aussi en eux, ce qui leur permet d’améliorer leurs relations avec les autres. Je n’ai jamais rencontré qui que ce soit qui n’ait pas subi de violence. Nous en sommes tous victimes. Alors, pour parvenir à bloquer le processus, il nous faut réaliser comment nous avons été blessés. En comprenant nos souffrances, nous pouvons réussir à les utiliser de manière positive. Charles Rojzman source : Psychologies Magazine adresse de l'institut
Adolescent à Durban, en Afrique du Sud, j’ai été agressé, battu, insulté parce que j’avais la peau sombre. Cela a entraîné beaucoup de violence en moi, c’est la raison pour laquelle mes parents ont voulu que nous allions vivre avec mon grand-père, en Inde....
Seule l’éducation peut améliorer cela. Malheureusement, elle nous apprend à obtenir des succès, pas à devenir meilleurs. Les enfants d’aujourd’hui grandissent sans connaître leur part d’humanité, sans savoir comment la développer. Ils apprennent à devenir de bons scientifiques ou financiers, mais n’ont aucune idée de la manière d’établir de bonnes relations avec les autres. Commençons par modifier une chose simple : la violence de notre langage. Soyons attentifs à nos comportements, soyons plus compréhensifs. Mon grand-père m’expliquait la différence entre la violence passive et la violence physique. Il m’a encouragé à faire mon examen intérieur chaque soir. Qu’ai-je fait qui puisse être utile aux autres ? Qu’ai-je fait de mauvais? Il m’a demandé d’afficher un papier sur lequel je devais noter mes actes de violence passive et active. Peu à peu, cela m’a aidé à me connaître et à voir ce que je devais changer en moi...
La non-violence est un idéal qui peut et qui doit fonctionner chaque jour, parce qu’elle est fondée sur l’amour, la compréhension et le respect. Nous chérissons ces valeurs, et pourtant tout le monde dit aujourd’hui qu’elles sont dépourvues de sens. Mais en pensant ainsi, nous devenons une partie de ce processus. C’est vrai, nous sommes modelés par la culture de la violence... J’ai retenu de mon grand-père que nous devons nous changer nous-mêmes pour entrer dans une culture non violente...
Dans le passé, nous parlions surtout de non-violence physique, en réaction aux guerres, aux mauvais traitements... Aujourd’hui, la violence passive est devenue plus puissante que la violence physique. Elle réside dans les discriminations, le pillage des ressources, l’exploitation des peuples. Elle n’utilise pas la force mais elle laisse les victimes en colère, qui utilisent à leur tour la violence pour obtenir justice. Et nous nous faisons subir à nous-mêmes des violences passives comme le stress, l’angoisse. La vraie non-violence réside dans une transformation de nous-mêmes. A nous, par exemple, de prendre conscience de la violence passive que nous faisons subir autour de nous : ne pas considérer une personne parce que nous la pensons inférieure, ou parce qu’elle est noire ou musulmane ou pauvre... La pire chose est le nationalisme, lorsque nous pensons pouvoir être fiers de notre pays en excluant le reste du monde. Nous devons avoir une vision générale, nous devons créer une globalisation des esprits, une globalisation philosophique, bien plus importante que la globalisation économique...
D’où vient la violence, je veux dire, où prend elle naissance, dans quel cœur dévasté, dans quel champ de ruines affectif ? Ou grandit elle jusqu’à maturité, jusqu’à ce moment où elle se manifeste au monde pour laisser son ineffaçable marque, dans quel désert, dans quelle zone morte ? Comment un être humain, jadis un bébé ouvrant ses yeux plissés et présentant sa face ridée au monde, un petit garçon avide de jeux et de camaraderie, un adolescent assoiffé d’exister, comment une personne, à ce seul titre digne de respect, comment cette personne peut elle, un jour, une heure, un soir, une nuit, comment cette personne peut elle en venir à se muer en camion fou, en bombe ambulante, en détonation léthale, comment une personne, cette personne, peut elle se trouver à ce point coupée, à ce point anesthésiée, à ce point ivre d’un vin infernal qu’elle en arrive à se précipiter vers une mort sanglante avec l’intention de décimer sur son passage femmes, bébés, enfants, jeunes gens, inconnus qui chacun ont des parents, proches, amoureux, progénitures, qui aujourd’hui vont eux aussi être fauchés par la nouvelle de leur élimination absurde …
D’où vient la violence, où est elle, ma violence, celle que je porte dans mes soubassements, celle qui peut par un instinct primaire monter dans mes affects et mes pensées quand j’apprends semblable nouvelle au saut du lit ?
Et mon amour, ou est il lui, mon amour, celui qui m’est inhérent parce que je suis vivant, que je suis venu à la vie ?
Ou est il cet amour qui reste et demeurera la réponse essentielle, qui n’exclut aucune des autres (mesures, actions, précautions, réflexions …)
Il n’est pas dans mes émotions lâchées comme des bêtes , pas dans cette avidité d’images impudiques, de remplissage médiatique, il n’est pas dans cette enfilade de vaines pensées qui s’entrechoquent en pure perte. Il est dans la retenue, l’ouverture au Plus Grand, quelle qu’en soit ma petite conception, il est dans la dignité, il est dans l’obstination à la démocratie, si imparfaite et frustrante, et pourtant seul rempart collectif contre la barbarie , il est dans le soin toujours renouvelé que je vais mettre ce matin à sourire à mes voisins, à ne pas m’impatienter comme un âne parce que je dois faire une demie heure la queue à la poste, il est dans cet apéritif inattendu que m’offre l’antiquaire de la place de Saint Savin chez qui je suis entré jeter un œil, alors que je le rencontre pour la première fois, il est dans la foi sur laquelle je veillerai jalousement au plus précieux de ma personne, il est dans l’écoute que je donnerai tout à l’heure aux uns et aux autre venus me consulter, il est dans mon écriture, si dérisoire et si fière, il est dans la poésie qui ne désarmera jamais, il est dans le lien, les liens, tout ce qui relie à rebours de cette affreuse séparation , de cette épouvantable solitude et de toutes les caricatures de fraternité qu’elle engendre quand celui qui s’est perdu en vient à se chercher dans une internationale de la mort ..
Je ne veux pas qu’on recouvre d’un drap bleu la tête de l’amour qui serait mort en moi ; je ne veux pas que la foi qui m'habite et m’anime s’éparpille en autant de cadavres qui jonchent un bord de mer ; je ne veux pas que l’humanité reçue en partage et qui ne subsiste que par le partage finisse par être assourdie par le bruit des ambulances convoquées par une violence dont on se demande d'où elle vient et où elle va. -------------
Qu’est-ce qui, en vous, a besoin d’être guéri ? Quelles forces divines endormies dans le corps, le coeur et l’esprit désirez-vous réveiller ? Le livre jeu avec les lettres et les dieux est à découvrir !