dimanche 17 novembre 2024

« Il est urgent de chercher à tricoter le rêve de Dieu »


Samuel lui a téléphoné : « Mamounette, voudrais-tu me tricoter un pull-over, si tu as de la laine chez toi ? J’ai peur que tu t’ennuies. » Une mamie, ça ne s’ennuie jamais, Samuel ! Et les mamies tricoteuses ont toujours de la laine en réserve. L’enfant a poursuivi : « J’aimerais bien qu’il y ait quatre lamas, et un soleil qui se lève derrière la montagne. Et puis de l’herbe verte. Et puis, sur le côté, j’aimerais bien qu’il y ait un petit lama qui court après son papa… »

Le petit Samuel de 5 ans a rêvé : c’est le métier des enfants. Danièle a sorti ses pelotes et ses aiguilles et s’est mise au travail : c’est le métier des grands-mères. Elle lui a tricoté son rêve. Le tricotage, c’est des bouts de laine qui se mêlent. Mais ici, ce sont deux vies qui s’entrecroisent et des années après, on en parle toujours…

Cette histoire que Danièle m’a racontée il y a quelques jours, du soleil plein les yeux, me ramène à d’autres rêves que les petits et les grands vont exprimer à l’approche de la fin de l’année. Rêves de cadeaux en tous genres, bien souvent capricieux ; rêves achetables, pouvant être assouvis sans délais par la « magie » des Black Fridays et des promos de fin d’année. Cadeaux prêts à porter, sans autre engagement que celui d’une carte bancaire. On sera loin alors de l’envie de Samuel, rendue possible par sa confiance et sa complicité avec sa Mamounette, parce qu’il faut le savoir : dans cette histoire de trois fois rien, Danièle et Samuel se sont rendus vivants.

Rêver, c’est le métier de Dieu

Et cela me ramène à un autre rêve, celui d’un Dieu qui « planta un jardin en Éden, à l’Orient », y mit l’humanité naissante « créée à son image », lui confiant la gérance d’un monde inachevé. Rêver, c’est le métier de Dieu. Il y voyait déjà une famille humaine multipliée, responsable de l’à-venir. Il rêvait de bonheur, de vie à profusion, d’amours multicolores. Les paroles de la Bible sont une trace tissée de son désir.

Pendant quelques années, sans jamais cesser de marcher, d’aller à la rencontre, d’inviter à sa table et de se laisser inviter, Jésus a tricoté à sa façon le monde rêvé de son Père. Parce que plus que tout autre, il pressentait que Dieu est jeune, éternellement jeune. L’enfance de son monde l’obsédait. À certaines heures, fatigué par ceux qui vivaient Dieu comme un exercice de gymnastique ou un théorème qui casse la tête, il se risquait à dire : « J’ai joué de la flûte, vous n’avez pas dansé. »

Tricoter le rêve de Dieu

Les quelques-uns qui l’ont suivi jusqu’au seuil du tombeau ont compris au matin de Pâques qu’il leur fallait donner une nouvelle intensité aux lueurs d’espoir qu’il avait allumé. Et ils se sont ligués pour donner forme ensemble aux rêves de leur Ami.

Dans le creux de l’hiver qui s’annonce, il est temps de ressortir nos aiguilles et les trois bouts de laine qui traînent dans nos boîtes à découdre. Dans notre monde abîmé par la violence, malmené par l’hystérie du pouvoir et sclérosé par les replis identitaires – jusque dans notre Église ! –, avec les hommes et les femmes de bonne volonté, il est urgent de chercher à tricoter le rêve de Dieu. Sans quoi nous mourrons tous de froid.

Raphaël Buyse 

source : La Vie

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samedi 16 novembre 2024

Corps à corps

 

dessin par Gérard Beaulet

L'environnement, c'est mon corps et mon corps c'est l'environnement.

Pour décrire cette sensation qui est intense et en même temps mouvement, les mots énergie, vibration, lumière, se présentent naturellement.

Mais c'est une manière de parler qui pointe vers quelque chose.

C'est une transposition verbale de quelque chose qui n'a pas de description plus juste. C'est pour cela que les descriptions du corps subtil diffèrent dans les diverses traditions. On ne parle pas de quelque chose d'objectif.

On exprime ce qui est vécu par une cérébralité spécifique.

Chacun vit l'énergie, la lumière, d'une manière différente à travers le prisme de sa cérébralité.

Eric Baret 

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vendredi 15 novembre 2024

Spiritualité à enraciner


 La prochaine fois que quelque chose de terriblement douloureux vous arrive et qu’une personne vous dit: « Vous choisissez toutes vos expériences, c'est l'univers qui t'envoie cette épreuve, remercie le... », assommez-la. 

Puis, quand elle se réveillera, demandez-lui de vous remercier de réaliser son rêve. Ensuite, dites-lui que « La douleur est une illusion, il suffit d’en prendre conscience, d’en témoigner, afin d’entrer dans la Grand Tout ». Puis, rappelez-lui qu'elle n'est pas victime, qu’il n’y a pas de victimes,  qu’il lui suffit de «revisiter» son passé pour accepter.

Quand elle va demander de l’aide pour se relever, regardez-la au sol et rappelez-lui que: «Tout ce que tu vois et ressens est à ton image ». Insistez pour qu'elle vous pardonne avant même que sa blessure à la tête ait guéri, dites-lui: «Avec cette expérience, tu as certainement dû résoudre certains problèmes liés à la violence. Sois reconnaissant(e) du cadeau que je t’ai offert ».

Quand elle va commencer à se fâcher, rappelez-lui que la colère et les jugements sont des émotions médiocres, et qu'il n'y a jamais personne à blâmer. Si cela ne la calme pas, dites lui que son ego est son ennemi et que la partie d'elle qui perçoit cette situation comme inacceptable n’est tout simplement pas suffisamment en confiance: "Tu es pris au piège dans la matrice et tu vois le monde à travers des œillères limitées". Dites-lui que vous êtes ici pour la libérer.

Enfin, prenez son portefeuille et demandez-lui de vous donner son code PIN afin qu’elle puisse apprendre une autre leçon précieuse sur le détachement matériel et la dépendance.

- Jeff Brown from the book, Grounded Spirituality

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jeudi 14 novembre 2024

Espace vacant

 


Vous êtes devenu un toxicomane de cette drogue que l’on appelle intellect et sous son influence,

vous analysez tout ; 

vous cogitez, 

vous considérez…..

vous rendez compliquées les choses les plus simples ! 

Vous devez vous débarrasser de cette accoutumance et vous abandonner au processus intuitif de la réceptivité pure.

Réaliser sa vraie nature ne requiert aucun effort d’ordre phénoménal.

L’illumination ne peut être atteinte, ni forcée.

Elle ne peut que survenir, lorsqu’on lui en donne l’opportunité, lorsque cesse l’obstruction opposée par les concepts. 

Elle ne peut apparaître que lorsqu’on lui donne un espace vacant dans lequel apparaître.

Voyez le faux comme le faux, et ce qui reste est vrai.

Nisargadatta  Maharaj

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mercredi 13 novembre 2024

L'homme en chemin

 


" Il incombe à chacun de bien savoir vers quelle voie le pousse son cœur, et d'embrasser alors celle-ci en y mettant toutes ses forces ... " 

(Rabbi Baer dans Le Chemin de l'homme de Martin Buber)

" Le retour décisif sur soi-même est le commencement du chemin dans la vie de l'homme...

Ainsi, le chemin par lequel un homme accèdera à Dieu ne peut lui être indiqué par rien d'autre que par la connaissance de son être propre, la connaissance de sa qualité, de sa tendance essentielle.

Dans chaque être, il est un trésor qui ne se trouve en aucun autre, mais ce qui est "trésor" en lui, il ne pourra le découvrir que s'il saisit véritablement son sentiment le plus profond, son désir principal, ce qui, en lui, émeut son être le plus intime. "

 Martin Buber, Le Chemin de l'homme

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mardi 12 novembre 2024

Entrée dans l'hiver

 

❄️ L’HIVER : MORT ET TRANSFIGURATION

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Ce titre est celui d'un chef-d’œuvre musical formidable : 🎵“Tod und Verklärung” 🎶 de Richard Strauss. Un vaste poème symphonique qui ne laisse personne indifférent.
Je vous recommande son écoute !
Et il sert très bien mon propos du jour. 😊
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🟡 Car ça y est, c’est l’Hiver 冬天 dōng tiān. 🌬
Ou plutôt devrais-je dire : c’est l’entrée dans l’Hiver.
Comme toute chose en ce monde, les saisons obéissent à un rythme immuable :
🔹Commencement
🔹Développement
🔹Apogée
🔹Déclin
🔹Transformation
Et nous voici donc aux portes de l’Hiver, à son commencement.
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🟡 MAIS ALORS POURQUOI PARLER DE MORT ?
Parce que c’est la saison du déclin, du dénuement, c’est la fin d’un cycle commencé 9 mois plus tôt avec le Printemps.
🔹A l’échelle d’une journée, l’Hiver représente la nuit, le sommeil, l’inactivité. 🌃😴
🔹A l’échelle d’une vie, il représente la grande vieillesse et effectivement, la mort. 👴🫧
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C’est d’ailleurs la saison associée
🔹à l’Eau
🔹au Froid
🔹au Nord
🔹au Sombre
🔹à la Peur
C’est la saison du Rein 腎 shèn, qui stocke le Jīng 精.
Et le Jīng 精 qui arrive à son terme entraîne la mort.
Tout pour nous réjouir n’est-ce pas ?
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🟡 À LA FOIS CONCLUSION…
Oui, c’est définitivement la fin des jours longs et lumineux, de la chaleur bienfaisante du soleil haut dans le ciel.
Oui, c’est la fin de beaucoup de choses agréables à l’extérieur.
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Nous rentrons définitivement dans le Yīn 陰 de l'année. Et le propre du Yīn 陰 c'est d'être froid, lent, lourd, épais, statique...
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Mais si l’on s’accorde au rythme de cette saison qui est le ralentissement, et à sa configuration qui est la circulation du Qì 氣 dans les profondeurs, alors l’Hiver nous ouvre la voie de l’allègement, de la rêverie, du silence, de l’ascèse.
Est-ce qu'un paysage enneigé n'est pas une merveille à regarder ? 🌨
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Dans les anciennes civilisations, lorsque sortir dans le froid était tout simplement trop dangereux, c’était alors le temps des longues veillées autour du feu 🔥, avec mille contes, légendes et histoires pour modeler la psyché, développer l'imagination et donner une cohésion au groupe. C’était aussi le temps du développement d’un talent manuel ou spirituel.
Cela reste d’actualité pour nous !
L’Hiver nous invite non seulement au ralentissement mais aussi à l’introspection.
C’est la saison parfaite pour la méditation !! 🧘‍♀️
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🟡 … ET PRÉPARATION
C’est tout le paradoxe de cette saison, trop largement et injustement détestée.
L’Hiver marque à la fois une fin et un début. C’est logique puisque tout est cyclique ! 💫
Cette saison fondamentalement calme permet la régénération, pose les prémices du réveil.
N’oubliez pas que dans 3 mois le Yáng 陽 va surgir des profondeurs pour à nouveau se déployer vers la surface et l’extérieur. 🌴
Ce mouvement aura la force et la vigueur du Bois. Si vous n’avez pas suivi le repos prescrit par l’Hiver-médecin, alors vous serez complètement à plat ! 🥴
Comme le sommeil et le repos permettent d’être d’attaque en journée, l’Hiver permet de répondre présent au Printemps.
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🟡 ET LA TRANSFIGURATION DANS TOUT ÇA ?
Et bien poussons la métaphore et voyons l’Hiver 冬天 dōng tiān comme un rite de passage.
Lorsqu’on réussit :
🔹à résister au Froid
🔹à aimer le Nord
🔹à traverser l’Eau
🔹à affronter sa Peur
🔹à regarder son Obscurité
🔹à ne plus craindre la Mort
Bref lorsqu’on réussit à “passer l’Hiver”, on est nécessairement transfiguré !
Dans trois mois, vous serez de nouvelles personnes ! 😉
Est-ce que ce n’est pas une belle raison de se réjouir et d’accueillir cette saison le Cœur ouvert ?

Alice Korovitch

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lundi 11 novembre 2024

Sauvegarder...

J'ai comblé d'herbes
Les gouffres les brèches les failles
Enroulé de soleils la spirale des nuits
Au versant des carnages
J'ai sauvegardé l'oiseau.

Andrée Chedid - Par-delà les mots


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dimanche 10 novembre 2024

Recherche en pause


Nous sommes tous en permanence à la recherche de quelque chose : le bonheur, la sagesse, le bien-être, l'amour, la beauté, le passé, un avenir meilleur, des biens matériels, une promotion, la connaissance, des amis, l'inspiration, de l'aide, la santé, une jeunesse éternelle, une perfection illusoire....

Mais quand nous arrêtons-nous pour simplement ressentir ces milliards de cellules qui nous constituent et sans relâche s'activent, pour entendre battre ce métronome infatigable: notre cœur, pour prendre conscience de tout ce que nos yeux nous permettent de voir et de faire nôtre, du brin d'herbe au cosmos infini, de tout ce que nos mains peuvent prendre, toucher, donner, créer, caresser?

Quand comprendrons nous que nous possédons Tout, par le simple fait d'être en Vie ...

Elisabeth Kuhn

peinture Sylvestro Lega 1826-1895 - La donna curiosa

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samedi 9 novembre 2024

Retournement

 Q : J'ai besoin que Trump disparaisse, se retire, qu'il meure, ou qu'il se réveille au plus vite ! 


Byron Katie : D'accord. Et s'il faisait toutes ces choses, serais-tu vraiment heureux ? Étais-tu vraiment heureux avant même qu'il se présente à la présidence ?

Q : [long silence] J'étais plus heureux que maintenant.

K : Oh vraiment ?

Q : Il me semble que oui...

K : Comme par exemple ?

Q : Eh bien, maintenant je pleure à cause de ça, je ne dors pas de la nuit. 

K : Tu n'as jamais pleuré et passé des nuits blanches avant ça ?

Q : Oui, pour d'autres raisons. Mais jamais à cause d'un président.

[Rires]

K : Alors, "J'ai besoin que Trump disparaisse, se retire, qu'il meure, ou qu'il se réveille au plus vite"...  

Retourne-le : "J'ai besoin que mes pensées concernant Trump – son administration et ses supporteurs – j'ai besoin que mes pensées..."

Q : J'ai besoin que mes pensées disparaissent, se retirent, meurent, ou qu'elles se réveillent au plus vite...

K : Oui ! Se réveiller ! C'est la seule issue que je connaisse. Je ne connais pas d'autre issue. Même la mort n'est pas une issue, parce que si tu es mort, tu ne sais pas que tu es sorti (réveillé). Il n'y a pas d'autre issue que d'aller à l'intérieur. Et c'est tout.

Alors nous allons être poussés vers cela encore et encore et encore, de la manière voulue par l'amour.

~ Byron Katie (extrait d'une vidéo)

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vendredi 8 novembre 2024

Tout faire un peu plus lentement


Dans sa lettre d’octobre, Jacques nous invite à ne pas séparer dans notre quotidien « l’action, reliée aux intentions de l’être, et l’activité, orientée vers un but extérieur » ou encore « l’infaisable et le faire ». Pour ne pas se laisser emporter par l’activisme journalier, une indication est précieuse dans le zen : tout faire un peu plus lentement.

Indication donnée par K.G. Dürckheim à Jacques à la fin de l’une de leur première rencontre : « si vous voulez pénétrer le monde du zen, je vous invite, les jours à venir, à tout faire un peu plus lentement ». Il n’échappe à personne que la mode actuelle est à la performance, la vitesse et l’efficacité, quelle que soit l’activité.


Tout faire un peu plus lentement, avant de devenir un acte sacré, est un sacré apprentissage !

Je m’en suis rendu compte dans le domaine de la montagne que je connais bien ; j’ai pu sentir combien cette indication était finalement bien plus difficile à mettre en œuvre qu’une pratique habituelle, bien réglée et mécanique, basée sur la vitesse et la performance.

La montagne, lieu de contemplation par excellence, n’échappe pas à la règle. Trails, ultra-trails et courses diverses et variées fleurissent un peu partout dans les Alpes. Les yeux rivés sur le chronomètre ou la montre connectée, nous nous fions à ce que nous disent les instruments, et faisons peu de fi de ce que nous ressentons et de ce qui nous entoure.

Seuls comptent les chiffres que nous indique l’écran : gagner quelques minutes, quelques secondes, quelques mètres. Ces activités se situent principalement dans une optique crispée et volontariste, s’appuyant sur un instrument supplémentaire que l’on appelle « mon corps », au service des attentes et des objectifs du mental.

L’obsession du chronomètre, d’une distance à parcourir, d’une altitude à dépasser, c’est la toute-puissance du temps pensé et de l’espace pensé, ce qui se mesure, se contrôle, sur le temps vécu et l’espace vécu, insaisissable moment qui ne se goûte qu’au présent.

C’est la toute-puissance du mental et du corps outil sur la sensorialité du corps vivant.

Toujours ailleurs et plus tard, quand j’aurai accompli ceci ou cela … enfin la paix ? Rien n’est moins sûr.

Apprendre à ralentir, ce n’est pas s’engager dans une lenteur, mais juste ralentir un peu, très légèrement, changer ses habitudes, transformer sa mécanicité en acte plus conscient.

Cela ne se remarque pas de l’extérieur, ou à peine, mais intérieurement, il se passe quelque chose de très riche : l’initiation, l’invitation à la Présence.

Tout faire un peu plus lentement demande une grande attention, non plus aux instruments de mesure divers et variés, mais au corps, à ses rythmes et ses gestes vitaux.

Plus vigilant, plus à l’écoute de ma manière d’être, suis-je vraiment en train d’habiter ce que je suis en train de faire ? Etant présent à tout ce qui vient de l’extérieur, suis-je vraiment en train de répondre à ce que la situation propose, exige ?

Dans toute action, il est possible de redécouvrir et de nourrir une autre manière d’être, une autre relation au corps et au monde.

Par un retour attentif aux actions vitales, spontanées, naturelles du corps vivant, je peux commencer à sentir ce qui m’anime, me nourrit, me porte et me met en relation à ce qui m’entoure. Le corps n’est plus l’instrument du mental, mais devient le centre vital de l’action et donne sens, richesse et profondeur au geste pratiqué de manière plus juste ; plus juste parce que plus en accord avec les lois du vivant. Paradoxalement, cette démarche intime et intérieure me plonge au cœur de la relation au monde.

Quelles sont ces actions naturelles, spontanées qui n’ont rien à voir avec mon désir de performance ? Va-et-vient du souffle, rythme cardiaque ... Forme et tenue corporelles plus justes (les 4 attitudes dignes), actions sensorielles : ce que je sens, ressens, vois, entends …

Cette présence vitale est la source de ma vraie nature, en même temps que le lien qui m’ouvre à un regard neuf sur le monde, comme l’illustre ce dialogue rapporté par Jacques lors d’une promenade en forêt avec Dürckheim :


« - Jacques que voyez-vous là ?

- Je vois un arbre, un très bel arbre !

- C’est curieux, là où vous voyez un arbre, je vois un geste de la vie. »

Cela demande une grande vigilance de sentir que, quelle que soit l’action, je ne satisfais pas seulement une volonté d’utilité ou de mainmise sur le monde, que je ne maitrise pas qu’un savoir-faire, mais que l’activité engagée ouvre sur un savoir-être, une transparence à ma vraie nature. C’est ce que nous appelons dans le zen la pratique de la voie intérieure.

« L’exercice du savoir-faire est terminé lorsque le résultat extérieur est acquis, satisfaisant. L’exercice sur la voie commence seulement au moment où l’on sait faire ce que l’on a appris en pratiquant régulièrement ; l’exercice consiste alors en une répétition perpétuelle du même geste… » nous dit Dürckheim.

Cette indication peut nous sembler bien ennuyante, mais le mot -répétition- prend une tout autre signification si nous l’entendons dans le sens de renouvellement. L’épanouissement de l’être humain peut alors se trouver dans les activités les plus banales, et la libération du savoir-être se découvre au cœur même de la contrainte existentielle ; c’est la voie du zen.

Indubitablement et quotidiennement, nous sommes effectivement dans l’obligation de répéter des activités ayant un but extérieur certain, mais nous en oublions la plupart du temps le sens sacré : le contact avec la source de toute activité. C'est-à-dire la présence et la soumission aux actions corporelles vitales, impermanentes et infaisables, qui réactualisent notre manière d’être, nos gestes, à chaque instant, et nous maintiennent au contact de l’essentiel.

Seulement ainsi, soumis à un changement permanent, voulu par la vie, nous sommes une

Personne en devenir, interagissant avec l’Ensemble, un être « divinement humain ».

Si les lois du mental nous enferment dans un besoin de normes et de mesures, dans un savoir figé et limité à notre besoin de compréhension et de maîtrise de notre existence, les lois du corps vivant nous ouvrent à une connaissance illimitée ; illimitée parce que sans cesse renouvelée par l’acte d’être. Sortir de la banalité demande à prendre au sérieux l’instruction de tout faire un peu plus lentement, afin de faire l’expérience que « Le zen n’est pas un art de vivre, c’est devenir un artiste de la vie » D.T. Suzuki

Joël PAUL 

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