vendredi 9 mai 2025

La paix soit avec vous tous !

 La paix soit avec vous tous !


Frères et sœurs bien-aimés, ceci est le premier salut du Christ ressuscité, le bon pasteur qui a donné sa vie pour le troupeau de Dieu. Moi aussi, je voudrais que ce salut de paix pénètre votre cœur, qu’il rejoigne vos familles, toutes les personnes, où qu’elles soient, tous les peuples, toute la terre. La paix soit avec vous !

C’est la paix du Christ ressuscité, une paix désarmée et désarmante, humble et persévérante. Elle vient de Dieu, Dieu qui nous aime tous inconditionnellement. Nous avons encore en tête cette voix faible mais toujours courageuse du pape François qui bénissait Rome !

Le pape qui bénissait Rome bénissait le monde entier, ce matin du jour de Pâques. Permettez-moi de prolonger cette bénédiction : Dieu nous aime, Dieu vous aime tous, et le mal ne triomphera pas ! Nous sommes tous dans les mains de Dieu. Alors, sans peur, unis main dans la main avec Dieu et entre nous, avançons. Nous sommes des disciples du Christ. Le Christ nous précède. Le monde a besoin de sa lumière. L’humanité a besoin de Lui, comme d’un pont pour être rejointe par Dieu et son amour.

« Merci au pape François ! »

Aidez-nous, aidez-vous les uns les autres à construire des ponts, par le dialogue, par la rencontre, en nous unissant pour être un seul peuple toujours en paix. Merci au pape François !

Je veux aussi remercier tous les frères cardinaux qui m’ont choisi comme successeur de Pierre, pour marcher avec vous, en Église unie, cherchant toujours la paix, la justice, en travaillant toujours comme hommes et femmes fidèles à Jésus-Christ, sans peur, pour proclamer l’Évangile, pour être missionnaires.

Je suis un fils de saint Augustin, un augustin, qui disait : « Avec vous je suis chrétien, pour vous je suis évêque. » C’est dans ce sens que nous pouvons tous marcher ensemble vers cette patrie que Dieu nous a préparée.

Un salut spécial à l’Église de Rome ! Nous devons chercher ensemble comment être une Église missionnaire, une Église qui construit des ponts, qui dialogue, toujours ouverte à accueillir, comme cette place aux bras ouverts. Tous, tous ceux qui ont besoin de notre charité, de notre présence, du dialogue et de l’amour.

« Prions pour la paix dans le monde »

(En espagnol) Et si vous me le permettez, un mot, un salut à tous, et en particulier à mon cher diocèse de Chiclayo, au Pérou, où un peuple fidèle a accompagné son évêque, a partagé sa foi et a tant donné, tant donné pour continuer à être une Église fidèle de Jésus-Christ.

(En italien) À vous tous, frères et sœurs de Rome, d’Italie, et du monde entier, nous voulons être une Église synodale, une Église en chemin, une Église qui cherche toujours la paix, la charité, qui veut toujours être proche, surtout de ceux qui souffrent.

Aujourd’hui est le jour de la Supplication à la Vierge de Pompéi. Notre Mère Marie veut toujours marcher avec nous, rester proche, nous aider par son intercession et son amour.

Alors, je voudrais prier avec vous. Prions ensemble pour cette nouvelle mission, pour toute l’Église, pour la paix dans le monde, et demandons cette grâce particulière à Marie, notre Mère.

Je vous salue Marie…

Léon XIV

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jeudi 8 mai 2025

Conférence avec Emmanuel Desjardins

C'est vendredi 16 mai :







 

Dans le bon sens

 


« L’absurde naît lorsque l’être humain cherche un sens dans un univers indifférent. Mais de cet absurde jaillissent des forces : la révolte, la liberté et la passion. Accepter que la vie soit dénuée de sens intrinsèque n’est pas une résignation, c’est un appel à vivre pleinement, à créer du sens dans chaque acte, car même dans le silence du monde, l’existence mérite d’être embrassée. »

Albert Camus

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mercredi 7 mai 2025

Recréation

 

"Si tous les oiseaux étaient pris aux pièges
et tous les poissons morts dans les filets,
si tous les arbres fondaient comme la neige
et s’éteignaient, l’été, les feux follets,
si toutes les mers désertaient les grèves
ou s’il n’était plus d’anges dans le ciel,
si tu restais seul avec tes rêves
parmi l’effondrement universel,
trouverais-tu dans ton âme profonde
assez de joie pour recréer le monde ?"
Auguste Marin (1860-1904)

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peinture: Carlo Carrà 1881-1966
barca solitaria 1924

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mardi 6 mai 2025

Appel corporel pour aimer son corps...


"Téléphone-moi Appelle-moi et dis-moi Que tu m′aimes, que tu m′aimes, que tu m'aimes Téléphone-moi Rassure-moi et dis-moi Que tu m′aimes, que tu m'aimes, que tu m′aimes"

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lundi 5 mai 2025

L’Exercice sur la Voie : contrainte ou espace de liberté ?


Les deux ! Cela dépend comment nous pratiquons.


« Est-ce que le zen que je pratique est vraiment le zen ? » Question récurrente que Jacques Castermane nous pose souvent au cours des retraites au centre Durckheim. Invitation à rester en éveil, à la fois agaçante et stimulante ! La pratique régulière et spécifique d’un exercice fait immanquablement partie du monde du zen. Nous reprenons jour après jour, mois après mois, année après année un même exercice, une même technique, afin de vérifier cet adage : « Un exercice que l’on fait 10 fois est passionnant ; un exercice que l’on fait 100 fois est ennuyeux, irritant ; un exercice que l’on fait 1000 fois nous transforme.» Si l’on rajoute ce propos de K.G. Durckheim : « Un exercice que l’on fait tout le temps n’est plus un exercice, c’est une autre manière d’être », nous passons de l’exercice spécifique au quotidien comme exercice, deux piliers de la voie du zen.

Après cette introduction, force est de constater que le monde du zen nous reste parfaitement hermétique et mystérieux, car « Il n’y a de réalité dans le zen que pour la personne qui entre dans une technique » comme nous le rappellent tous les maitres zen. L’exercice spécifique est d’autant plus déconcertant qu’il est souvent simple. Par exemple, au centre Durckheim, deux exercices sont incontournables et repris quotidiennement : za-zen (l’assise immobile) et kin-hin (la marche lente).

La personne qui découvre ces pratiques a de quoi être étonnée, voire déroutée : premier jour, s’asseoir immobile et marcher lentement, selon des règles strictes ; deuxième jour, idem ; troisième jour, assise immobile et marche lente. Première retraite, deuxième retraite, troisième retraite … Encore et toujours za-zen et kin-hin. Cette répétition d’un même exercice, d’une même technique peut être vécue avec ennui, lassitude, colère. La palette des difficultés rencontrées est largement colorée, et, dans un premier temps, bien embarrassante pour un pratiquant venu chercher le calme intérieur.

Se manifeste bien souvent dans toute son ampleur le MOI désireux de passer à autre chose que ces exercices bien simplistes, effectués comme une introduction obligée à la voie du zen, mais dans l’attente d’une initiation et d’une pensée plus spirituelle à venir. Vite, passer à autre chose, penser à autre chose, et s’évader au plus vite des désagréments et inconforts de cette pratique répétitive !

L’exercice pratiqué ainsi est une contrainte, une non liberté par rapport à ce que MOI je veux, j’aime ou je désire obtenir, garder ou rejeter. Année après année, dans la parfaite immobilité, s’asseoir dans une tenue juste, une forme juste, une respiration plus juste, « juste parce que naturelle », c’est za-zen. Année après année, faire un petit pas, être son poids et sa taille à chaque pas, libérer le balancement du bassin, l’équilibre. Maitriser parfaitement ce pas, « maitriser voulant dire laisser sortir ce qui est juste », c’est pratiquer kin-hin.

Ces deux exemples d’exercices sont une contrainte pour MOI qui veut garder son rythme propre, sa façon de marcher, son contrôle de la situation, sa compréhension, ses habitudes. N’importe quel pratiquant un peu sérieux connait ces soubresauts et ces résistances face à une pratique régulière, sait de quel ennui, agacement, découragement je veux parler. Alors, pourquoi reprendre un même exercice ? Pourquoi beaucoup de ces mêmes personnes qui connaissent les difficultés évoquées ci-dessus, reviennent au centre ou entrent dans une pratique quotidienne régulière ? Une technique répétée jour après jour, sans compromis, de plus en plus précise, parfaitement maitrisée, empêche le MOI de faire ce qu’il veut. C’est justement cet aspect de la pratique qui ouvre à la chance d’une expérience, d’un autre vécu intérieur, hors de la saisie mentale.

En témoigne ces propos de Jacques Castermane lors d’un za-zen :


« L’immobilité m’empêche d’être rigide, d’être figé dans mes réactions physiques, émotionnelles ou mentales ; ces habitudes vont se détacher de MOI ». Je ne fais rien et je pourrais échapper à mes difficultés ? De l’immobilité naîtrait une manière d’être plus juste ? Il faut le pratiquer, le traverser, le vivre, pour le croire ! Ou encore : « Vous avez senti des résistances physiques, vous avez vu vos fonctionnements émotionnels et mentaux : c’est une bonne raison de reprendre l’exercice.

Vous avez senti, goûté un moment inhabituel de calme intérieur, d’ordre, d’ouverture. C’est une bonne raison de reprendre l’exercice ». L’exercice nous ouvre à la connaissance de nous-mêmes, et ouvre aussi à la connaissance du vrai soi-même, de notre vraie nature. A tous les coups on gagne … en maturité, en « être ». Si la technique pratiquée est effectivement la même, le regard sur soi-même change, le sujet qui pratique change tout le temps. Peu à peu ou subitement, nous pouvons sortir de cet esprit de répétition propre à l’ego, pour découvrir un aspect de la pratique que l’on appelle l’esprit de renouvellement, et effectivement tout change.

D’une « névrose » répétitive de perfection, nous passons à la redécouverte de principes et d’actions dont nous nous sommes coupés en donnant trop d’espace à la pensée : sensorialité, différence, impermanence, interdépendance … tant de lois vitales oubliées ! L’exercice est ce passage d’une posture contrainte et contrôlée par MOI, à la libération d’un geste renouvelé, soumis aux lois transformatrices naturelles propres au corps vivant.

Ainsi des actions universelles, immuables et infaisables peuvent nous surprendre à nouveau. Comme c’est étrange, je ne fais rien, et « je me sens nourri, vivant comme jamais ». Za-zen, parfaitement immobile : le va-et-vient du souffle m’anime, la forme respire, la tenue s’actualise à chaque instant, je suis porté par l’infaisable : « cela respire, cela se fait ».

De la technique maitrisée et renouvelée naît la pleine participation à un évènement qui s’écoule, et MOI, je n’y suis enfin pour rien : quelle vraie liberté, quel vrai calme !

Joël PAUL

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dimanche 4 mai 2025

Le goût de la vie

 


Voilà deux mois que je n’ai pas écrit de newsletter de Reflets. J’en suis désolé. Un grave accident de santé m’en a empêché. Aujourd’hui c’est la fête du travail et je ne voudrais pas gâcher cette belle fête en vous parlant de la mort. Elle aurait pu advenir mais Dieu en a décidé autrement. J’ai juste envie de dire que le goût de la vie transcende l’existence.

Il y a le goût de la vie terrestre. C’est un très bon goût. Tellement bon qu’il me donne le goût de la vie éternelle. Finalement, les deux se fondent et ne subsiste qu’un seul goût. Quelle chance nous avons de faire l’expérience de la vie terrestre, de l’incarnation !

Je constate que le goût nous vient des épreuves traversées. Inversion de sens : les souffrances vécues nous donnent le goût de la vie alors qu’on s’imagine que bien vivre c’est échapper aux épreuves. 

Être vivant, selon ce que je viens de vivre, c’est retrouver le sourire, ou encore mieux ne pas le perdre. Cela change complètement la perception de la souffrance. Elle est vaincue. Alors la mort est vaincue, comme l’a annoncé Saint Paul. La mort a été engloutie dans la victoire. (1Cor 15, 54)

Le goût, c’est le goût de la victoire de la vie.

La fête du travail est une belle fête si on ne la réduit pas aux acquis matériels. Le travail éduque à des valeurs si nécessaires pour s’accomplir. Par exemple, la persévérance, la discipline intérieure, l’attention, la clémence. 

Quand elles sont acquises profondément, nous sommes prêts à servir la vie. Le travail n’est plus le centre, c’est une tout autre activité qui commence : se tourner vers les autres au dehors, vers l’Autre au-dedans, donne un nouveau goût à l’existence. 

Christian Rœsch

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samedi 3 mai 2025

S'asseoir


Tous les matins s’asseoir, non pas pour penser à ses problèmes, ni analyser sa vie, mais simplement pour écouter. Notre quotidien est rempli d’activités et d’obligations. Au milieu de cette effervescence, si nous ne prenons pas le temps de nous poser en silence, loin du téléphone, de l’ordinateur et de toutes les personnes avec qui nous sommes en lien, nous aurons très peu de chance de reconnaître l’immensité de notre être.

Simplement s’asseoir simplifie l’instant et nous ramène à nous-mêmes. Nous pouvons alors observer ce qui nous trouble et nous agite. Nous pouvons respirer avec ce qui nous habite sans avoir besoin de trouver une solution. Dans l’assise, nous réalisons que l’agitation s’apaise dès que l’on cesse de vouloir autre chose que ce qui est là. Nous nous déposons alors dans la substance de l’instant, où nous goûtons le silence et la plénitude de notre être.

L’assise est la pratique spirituelle par excellence. Elle élimine tout pour ne laisser que l’Essentiel. Elle exige régularité et engagement, sinon son pouvoir transformateur ne peut œuvrer.

Tous les matins, on a le choix : soit on entre dans la journée emporté par le mental, ses "je dois" et ses "je veux" ; soit on s’assoit pour s’ancrer dans sa vérité fondamentale. L’assise permet de coïncider avec le réel et libère de l’emprise du mental. Nous réalisons que la vie n’est pas une lutte mais un accord juste qui se vit dans l’instant.

Ce n’est pas tous les jours facile de s’asseoir face à son chaos, face à son envie de fuir, d’être ailleurs, de regarder ailleurs. Mais si tous les jours nous renouvelons cet engagement avec nous-mêmes, une transformation intérieure se produit. Les aléas de la vie nous troublent de moins en moins, nous gagnons en sérénité, stabilité et confiance.

S’asseoir régulièrement, seul ou ensemble, permet de s’affermir et de se soutenir mutuellement dans cette pratique exigeante et profondément transformatrice pour laquelle il faut du courage et de la patience.

~ Nathalie Delay

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vendredi 2 mai 2025

Le présent



" Les hommes crèvent d'occuper le futur, jamais le présent. Ils se préparent à vivre, ils ne se réjouissent pas de vivre."
(L'homme qui voyait à travers les visages - Éric-Emmanuel Schmitt)




"Dans les actes quotidiens, nous glissons de multiples adieux car nous avons souvent le sentiment que quelque chose s'évanouit qui ne reviendra pas. Chaque jour recèle un accueil et un au revoir. L'éclair présente la première fois et son revers. Dans ce scintillement, on décèle l'éternité."
(La femme au miroir - Éric-Emmanuel Schmitt)


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jeudi 1 mai 2025

Repos dans l'unité


Il y a un toucher
de l'aurore,
qui rejoint celui
des lilas.
Vaste et petit
pour ton cœur
et ton corps.
Tu ne sais pas encore
quel secret
les unit.
Et les joint à toi.
Jean Mambrino - Grâce - (Arfuyen)



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mercredi 30 avril 2025

Ego et espérance !

Texte de Arnaud Desjardins :


Il faut que vous alliez jusqu’au bout de tout ce qui est contenu dans cette petite phrase de Swâmiji : « Personne ne vit dans le monde, chacun vit dans son monde. » Comprenez l’utilisation de l’adjectif possessif lorsqu’il s’agit de réalités sur lesquelles vous n’avez aucune prétention à la possession. En fait, l’ego n’est jamais neutre, jamais détaché mais toujours impliqué. Il y a toujours un élément de possession, parce que c’est toujours – plus ou moins subtilement – par rapport à vous que vous expérimentez tout. Tout ce que vous approchez de nouveau, tout ce que vous découvrez, vous le découvrez à travers votre ego. Pour la pratique vous pouvez considérer l’ego et le mental comme synonymes.
L’ego vous suit partout. Il est toujours là avec son espérance : Est-ce que je vais gagner quelque chose ? Un bonheur, une joie, une satisfaction qu’il convoite consciemment ou inconsciemment. Et, en même temps, il est toujours, consciemment ou inconsciemment, dans l’appréhension. Il se demande si ce qui l’attend c’est la réussite ou l’échec. Est-ce que j’aurai aujourd’hui de bonnes nouvelles ou de mauvaises nouvelles ? Il n’y a pas de liberté. Il n’y a pas de détente absolue. Il y a vulnérabilité à l’émotion. L’ego ne peut jamais être neutre, il est tout le temps impliqué. Il aime ou il n’aime pas. Et, dans les profondeurs de l’inconscient, il est touché d’une façon ressentie comme agréable ou comme désagréable. Si vous dites : « J’aime le château de Versailles » ou si vous dites : « Je n’aime pas le château de Versailles », dans les deux cas vous témoignez que vous n’avez pas vu le château de Versailles, que vous avez vu votre château de Versailles, sinon ni vous n’aimeriez, ni vous n’aimeriez
pas. Vous diriez simplement : « Le château de Versailles est » – et c’est fini. Mais vous pouvez préciser ses dimensions, le nombre des fenêtres, les caractéristiques du style. Pure statement of facts, simplement l’énoncé de faits.
Si vous allez un peu plus loin dans cette direction, ce qui vous paraissait si simple va vous paraître moins simple et peut-être même inacceptable. « Comment ? Vous me refusez le droit d’aimer le château de Versailles, ou de ne pas aimer Versailles mais préférer Amboise ou Chantilly ? » Je ne vous refuse rien du tout. Je vous montre seulement qu’on vit dans son monde, dans l’ego et dans le mental et qu’il est possible d’échapper à ce monde, à l’ego et au mental. Mais cette libération est exceptionnelle, bien peu d’êtres humains y atteignent, et elle est radicalement différente de toute l’expérience ordinaire. On ne peut pas à la fois changer et rester le même, on ne peut pas à la fois devenir papillon et demeurer chenille, on ne peut pas à la fois conserver toutes les caractéristiques de l’ego et du mental et atteindre les états « supranormaux » ou « supramentaux », quel que soit le nom que vous vouliez leur donner.

Le vedanta et l’inconscient -À la recherche du soi III
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mardi 29 avril 2025

lundi 28 avril 2025

Rencontre avec le pape

 Que François vous a-t-il apporté en tant que chrétien, en tant qu’écrivain ?


Le regard que François portait sur chaque chrétien était un regard de bienveillance et de fraternité. Il avait une merveilleuse écoute et il m’a confirmé cette idée que la foi est une liberté de penser, d’interpréter, de faire sien un message. Il légitimait cette part active : dégager la religion de l’obéissance pour la restituer à l’individu en pleine conscience, qui réfléchit, s’empare de l’histoire et des textes.

Ce qui est étonnant de la part d’un pape, censé être le gardien des interprétations et des canons. François avait cette ouverture-là. On échangeait sur des sujets où j’avais des positions très éloignées du dogme.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

J’ai pu lui parler de ma conception de Judas : pas du tout un traître mais le disciple préféré et celui qui se sacrifie par amour… « C’est très intéressant », m’avait dit François, dans un grand sourire. Et j’avais continué en expliquant qu’on évitait ainsi l’antisémitisme chrétien qui a prospéré à partir de l’idée de Judas, de la figure tentée par l’argent, etc.

Ce que je racontais était bien sûr de la fiction, mais François avait cette idée qu’elle ouvrait justement à la réflexion. C’est pourquoi il était très attentif aux écrivains et autres artistes.

Après le très beau discours sur l’art qu’il avait prononcé dans la chapelle Sixtine, il a publié le texte sur la littérature en juillet 2024 : une reconnaissance de l’importance de l’art dans la vie spirituelle. Et aussi du rôle des artistes pour communiquer, témoigner, dire autrement que l’Église. Ce qui a déclenché des réactions de détestation car, en somme, il « déclergisait » le message évangélique.

Je l’ai rencontré à travers cette caractéristique qui lui était essentielle. Il m’a invité à faire le voyage à Jérusalem, ce qui a été un formidable cadeau, et m’a permis de donner corps au défi de la fraternité sur une terre trois fois sainte et fratricide.

Vous êtes ensuite devenu un familier de la maison Sainte-Marthe, mais quand avez-vous rencontré François pour la première fois ?

Au terme du mois passé à Jérusalem, d’une richesse extrême sur les plans spirituel, historique, théologique. Le dernier jour, j’étais encore à la bibliothèque de l’École biblique, j’ai reçu un appel du Vatican : « IL vous attend. » Je suis allé au rendez-vous, nous nous sommes retrouvés seul à seul. Lui parlant en italien et moi en français, chacun comprenant l’autre. Un grand moment. Car qui étais-je pour qu’il ait envie de me rencontrer ?

Ce fut d’abord pour moi un étonnement enfantin, puis la conscience lucide que je suis un chrétien qui n’est pas à la hauteur des exigences du christianisme… J’étais impressionné face à la grande figure spirituelle, plus que l’homme de pouvoir, le chef d’un État et d’une Église sur toute la terre. C’était cet homme accompli spirituellement, qui pouvait me citer le Mémorial de Pascal en français par cœur et qui était capable de toutes les discussions. Cette légitimité qu’il donnait à l’autre m’a bouleversé.

Revenir de Jérusalem, la ville importante pour les trois monothéismes, c’était avoir ressenti le défi du « Écoutez-vous », après que Dieu a dit trois fois « Entendez-moi ». Se rendre compte que nous sommes frères. Le fratricide, c’est l’oubli de l’origine commune, que pratiquent les « grimaceurs » de chaque religion. François a tendu la main aux représentants du judaïsme et aux imams. Lui-même avait pris l’initiative, « ce ne sont pas eux qui m’ont couru après », nous confiait-il.

Qu’attendez-vous du prochain pape ?

Que perdure cet ébranlement spirituel qu’a provoqué François : il a bousculé l’édifice tout en ne voulant pas le briser, c’est pourquoi il a ralenti le train des réformes. Je pense que restera cette Église beaucoup plus proche des Évangiles, une Église qui n’est pas une fin en soi mais qui est mission, qui est service. Et puis une Église qui ne met pas au premier plan le magistère moral, qui intègre l’ouverture faite aux couples divorcés, aux homosexuels : j’espère que continuera ce respect des trajets de vie.

François avait une grande peur du schisme et tous les papes à venir vont se retrouver face aux deux fissures de notre temps : celle qui sépare traditionalistes et progressistes, celle qui éloigne le Nord et le Sud. Entre le désir de réconciliation et la nécessité d’avancer, tout pape sera désormais coincé.

Le catholicisme a ces deux tensions à l’intérieur de lui qui sont de plus en plus exacerbées : si un pape traditionaliste est élu, il aura la moitié de l’Église contre lui, de même si c’est un progressiste… François a été un grand pape empêché ! Tout ce qu’il a débusqué et devant quoi il a dû reculer est désormais clairement marqué.

Dans un monde de plus en plus chaotique, comptez-vous sur la force de résistance du prochain pape ?

Le christianisme est plus que jamais important, à l’heure où un nombre croissant de dirigeants n’affirment plus que deux choses : la force et l’argent. Et souvent la force au service de l’argent… La vocation même du christianisme, depuis Jésus au sein même de la société de son temps, est de lutter contre le règne de la force, le mercantilisme, le matérialisme de l’intérêt.

On dit aujourd’hui que l’Église est minoritaire, mais une force de résistance est toujours minoritaire. C’est comme la philosophie, face au fameux bon sens et aux préjugés. On a besoin de la dynamique que le christianisme représente et de la proposition d’un autre rapport social fondé sur le respect et l’affection, non sur la peur et l’intérêt. C’est encore plus inaudible aujourd’hui donc encore plus nécessaire. C’est la folie du christianisme d’être la religion de l’amour, dans un monde excessivement brutal.

Interview de Eric-Emmanuel Schmitt

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