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mercredi 19 février 2025

XIUSHEN - Raffiner son corps et son être

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XIUSHEN, littéralement «éduquer, régulariser le corps», est une notion très importante dans le confucianisme, pour lequel la notion de corps dépasse celle du corps physique, pour englober celle du corps-cœur-état d'esprit.

Le confucianisme insiste sur le travail sur soi-même et le développement individuel avant de parler de l'harmonie avec les autres et le monde.

L'objectif de XIUSHEN est de réaliser sa valeur humaine dans le monde et la société par l'ouverture du cœur et la bienveillance.

Comment réussir ma vie dans tous les plans humains : familial, relationnel, professionnel et spirituel ? Comment franchir ensuite les obstacles et composer avec les émotions pour avoir toujours la force et la volonté de se réaliser?

Une phrase de Confucius très connue en Chine indique ce chemin de la vie matérielle vers la vie spirituelle: 



GEWU : analyser les choses ; ZHIZHI : arriver à la pleine connaissance ; CHENGYI : agir dans la sincérité de l'intention ; IE'G ZHENGXIN : trouver la rectitude du cœur ; XIUSHEN : raffiner son corps et son être ; QIJIA: construire la famille ; ZHIGUO : régner sur le pays ; Yl PING TIANXIA: la paix s'accomplit dans tout l'Univers.

En analysant les choses, on arrive à la pleine connaissance. En atteignant la pleine connaissance, on agit avec la sincérité de l'intention. En agissant avec la sincérité de l'intention, on trouve la rectitude du cœur. En trouvant la rectitude du cœur, on éduque son être. En raffinant son être, on harmonise la famille. En harmonisant la famille, on ordonne le pays. En ordonnant le pays, on accomplit la paix dans tout l'Univers.

Cette phrase est une notion fondamentale du confucianisme, c'est la clé de l'équilibre de l'être et donc de son bonheur. Par l'explication faite du mot SHEN, « corps », on comprend mieux le sens profond de XIUSHEN.

Le terme «corps» peut être exprimé par différents caractères en chinois. Nous avons déjà parlé du caractère XING qui indique le corps, la structure. Il existe aussi le terme TI pour exprimer la notion de corps. 


Le mot SHEN est un autre caractère utilisé pour écrire le corps humain. Le sinologue Cyrille Javary l'a bien décrit : « Dans la forme ancienne de cet idéogramme, on retrouve la silhouette de l'être humain, particularisée ici par le dessin d'un gros ventre, à l'intérieur duquel un trait précise qu'il est plein de quelque chose. Le surpoids de ce ventre gravide oblige cet humain à placer une jambe en avant pour rétablir son équilibre. D’où le sens d’origine de ce caractère qu'il garde toujours dans certaines expressions: "Être enceinte". Formé d'un tout indécomposable, le caractère SHEN ne montre plus le corps dans sa dualité concertante entre charnel et rituel, entre physique et subtil, mais dans la vitalité fondamentale qui le recentre en profondeur. Ce qu’il évoque, plus que le corps lui-même, c'est sa propension à vivre, ce sentiment diffus d'être finalement un peu toujours "enceint” de nous-même, comme la nature l'est du monde, renouvelé à chaque printemps.

Le père Claude Larre, éminent sociologue, le souligne magnifiquement:

"C'est grâce à la vitalité éphémère, mais toujours régulièrement renouvelée, qu'une permanence apparaît dans le passage des éphémères et fonde l’éphémère que je suis. Je n'ose pas dire que je possède l'existence, c'est l'existence qui me possède."

Dans cette perspective, la vie n'est plus un fardeau venu du ciel ou une pénitence héritée de la terre. Vivre devient alors une mission en soi, celle de se sentir responsable de cet éclair de vie qui à chaque moment, comme partout dans l’univers, prend naissance à l’intérieur de soi-même *. »

* Cyrille J.-D. Javary, 100 mots pour comprendre le chinois, Éditions Albin Michel.

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jeudi 14 décembre 2023

De la crise, ou de quoi méditer en ces temps de crise ...

 

Issu du grec krisis (décision), ce mot a d’abord été un terme du jargon médical, désignant un tournant décisif dans l’évolution d’une maladie ou d’une blessure. C’est de là que lui vient sa connotation angoissante actuelle. 

En chinois l’idée de « crise » s’écrit avec deux idéogrammes. 

Le premier, 危 wēi représentait à l’origine une personne se tenant au bord d’une falaise. Au cours des siècles à cause de cette image d’une situation dangereuse, il s’est amalgamé avec un mot homophone plus ancien ayant lui le sens de : malheur, difficultés ; ce qui a conduit au sens actuel de ce mot : péril, passe difficile. 

Le second, 机jī, dans sa forme ancienne (機) représentait le ressort des arbalètes. Ces armes avaient constitué un des éléments déterminants de la supériorité militaires de Qin Shi Huangdi dans sa conquête des différents Royaumes Combattants aboutissant en 220 avant à la première unification impériale de la Chine et dont les milliers de guerriers en terre cuite qui gardent son tombeau donnent un idée de la puissance. Particulièrement l’arbalétrier au « présentez-armes ». 

Aujourd’hui, cet idéogramme a toujours un sens en rapport avec son ressort d’origine puisqu’il signifie : mécanisme efficient, ressort, moyen ingénieux, stratagème, occasion imprévue, opportunité.

L’écriture chinoise de la notion de « crise », le binôme危机  wēi jī, combinant ensemble l’idée de « passe difficile » avec celle de « ressort, d’occasion », offre une perspective plus vivifiante de ce qui est pour nous une crise. Il ne s’agit plus d’une aggravation dangereuse d’une situation critique, d’une fatalité mortifère mais bien plutôt d’un moment décisif, certes difficile, mais surtout porteur d’opportunités à saisir pour orienter la situation vers une vitalité nouvelle.

Winston Churchill, qui disait « Le pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, l’optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté », connaissait-il ce distique de son compatriote le poète William Blake : 

Bénédiction lénifie

Malédiction tonifie


Cyril Javary
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samedi 22 avril 2023

Un peu de Yi Jing

 "Tu trouveras, ci-dessous, la vidéo « Les 100 formules du Yi Jing » qui reprend les 100 formules les plus importantes du Livre des Changements, à partir de la traduction de Cyrille Javary (1).

Lance la vidéo et, quand tu te sens prêt.e, appuie sur pause et découvre un conseil ou une indication sur la qualité du moment ...


Explications de certaines formules :

Apaisement présage ouverture : présage d’ouverture si on parvient à ramener le calme en soi et/ou dans la relation.

Chaque jour, contrôler les chariots et les gardes : prendre toutes les précautions nécessaires.

Distinction contenue présage de possibilités : présage d’ouverture si on évite de fanfaronner.

D’un peuplier desséché naît des surgeons : le renouveau vient de ce que l’on pensait appartenir au passé.

Gains ou manques, pas de craintes à avoir : qu’on gagne ou qu’on perde, tout ira bien.

Grandeur sans entraînement : place à la spontanéité !

La poutre maîtresse ploie : une limite (intérieure ou extérieure) est (ou est sur le point d’être) dépassée.

Le mandat change : une révolution est en marche.

Les madriers verrouillant les portes réalisent le clan : s’isoler de l’extérieur pour permettre des réalisations à l’intérieur.

Mesure amère présage impossibilité : éviter de s’imposer une discipline pénible.

Ne pas employer l’armée : ne pas employer la force.

Nuages épais, pas de pluie en nos domaines de l’Ouest : on est parti pour attendre.

Pas profitable d’accepter l’hospitalité : pas profitable d’offrir son aide ou d’accepter l’aide d’autrui.

Présage pour l’épouse d’ouverture, pour le mari de fermeture : privilégier le yin au yang, l’action douce à l’action ferme.

Profitable/pas profitable d’avoir ou aller : profitable/pas profitable d’avoir un objectif clairement défini et de s’y tenir.

Profitable au Sud-Ouest, pas profitable au Nord-Est : profitable de rester en terrain connu, pas profitable d’avancer en terre inconnue.

Profitable d’employer les procédures judiciaires : utiliser les moyens nécessaires pour rétablir l’ordre et la justice, même ceux de dernier recours.

Profitable d’instituer des vassaux : hiérarchiser les priorités et déléguer ce qui peut l’être.

Profitable d’opérer la mise en route de l’armée : profitable de prendre des mesures fortes.

Réexaminer à l’aide des tiges d’achillée : effectuer un tirage du Yi Jing.

Résolument se manifester à la cour du roi : même si ça n’est pas facile, il faut faire entendre sa voix.

Retarder le mariage l’assure au moment opportun : le retard est bénéfique.

Rien qui ne soit profitable : formule la plus bénéfique du Yi Jing !

Sacrifier du gros bétail, ouverture : c’est le moment de miser gros.

Sept jours et obtenir : attendre un cycle complet court puis obtenir.

Sortir et rentrer sans fébrilité : y aller par petits pas.

Stabiliser les os maxillaires. Les paroles sont ordonnées.

Tout regret disparaît : faire preuve de maîtrise dans son attitude et dans ses paroles et aller de l’avant.

Voici la pluie, voici le repos : voici ce que l’on attendait.

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mardi 4 avril 2023

Le poème de Meng Haoran



 L'éveil est le sujet de ce quatrain... 

Meng Haoran se garde bien de préciser de quel éveil il s'agit, car son intention est autre. Sous couvert de décrire les différentes phases que chacun traverse lorsqu'on passe du sommeil à la veille, il nous invite à deviner un autre éveil, celui qui s'offre à la conscience lorsque, émergeant de la grisaille quotidienne, elle s'ouvre à des lumières plus profondes

Ce n'est pas le moment de dormir...

Dès le premier vers apparaît ce choix si caractéristique de la poétique chinoise : l’élision du pronom personnel à la première personne, un rejet volontaire du nombrilisme qui permet de garder à la suite son aspect de proposition ouverte. Le second caractère de ce premier vers est habituellement rendu par un verbe ; mais comme ici il n’a aucun sujet, j’ai préféré le rendre par l’impersonnel « sommeil ». Qui dort ? On ne sait pas ! Ainsi, qui veut s’identifier, le peut. Il y a juste une indication : ça sommeille ; quand justement, tout alentour, ça s’éveille. Le premier et le dernier caractère de ce premier vers reconstituent le titre : printemps, début de l’année / aube, début de la journée. Ce n’est vraiment pas le moment de rester à dormir. Viennent donc ensuite les trois stades successifs du passage du sommeil à l’éveil.

Du sommeil à l'éveil

Les différents sens avec lesquels nous appréhendons le monde extérieur ne reviennent pas ensemble au niveau de la conscience. Le premier, qui parfois est la cause même du réveil, est l’ouïe. Les oiseaux, ces légers messagers du ciel, le régulateur impersonnel des saisons, nous annoncent par leur pépiement intempestif (« Partout, partout » : la répétition est en chinois classique marque du superlatif) que le moment est doublement venu d’accompagner le mouvement du renouveau qui se manifeste. C’est le moment présent, le premier temps du retour de la conscience.

Le second, c’est le retour de la mémoire, de la conscience du passé. Assuré d’être à nouveau vivant, l’humain replonge alors ses racines dans le temps dont il vient, c’est le retour de la mémoire. « A nuit passée », on se rappelle alors que « pluie et vent bruirent abondamment », pourrait-on presque dire pour tenter de rendre un petit peu la puissance de la rythmique du texte original. La vigueur des orages printaniers en Chine est attestée dans le Yi Jing par le tri-gramme (zhèn) dont c’est la marque.

Vient alors le troisième temps de l’éveil, la projection dans le futur : « Combien de fleurs en furent flétries » ? Le point d’interrogation est ici en dehors des guillemets car il n’existe pas en chinois. Le sens interrogatif est donné par la construction, ou plus exactement par la proposition en partie double présentée par l'association des mots « beaucoup » et « peu ». L’interrogation est inquiète car elle est nouée par une certitude : il y a des fleurs qui ont été brisées par l’orage. Et cela est difficile à admettre. Et c'est aussi cela que nous propose Meng Haoran. A l'intérieur du cycle saisonnier dont la régularité est gage de stabilité, apparaissent, comme dans notre expérience quotidienne, des moments de pur scandale : une fleur à peine éclose saccagée par l’orage, un enfant nouveau-né que la mort emporte. Absurde, évidemment ? Naturel, absolument ? L’éveil à la réalité ultime du monde est un chemin sans raisonnements. 

Cyril Javary

Source: génération Tao n°56
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dimanche 21 mars 2021

Yi Jing



Le jour et la nuit sont chacun le passé et le futur de l'autre.

Cyrille Javary







Le sens de ce mot se comprend en regardant l’idéogramme. 
Il est divisé en deux parties. En haut, le soleil et en bas, l’évocation de liquide en train de tomber : le soleil et la pluie. 
Le premier sens de Yi se rapporte aux changements de temps, aux passages du soleil à la pluie et de la pluie au soleil. 
De là vient son sens général de : changements, transformation. Mais il a aussi deux autres sens dérivés. 

Le premier est : facile, simple, naturel. Aux yeux des Chinois, la qualité essentielle du changement c’est d’être la fluctuation même de la vie. 
Le second sens dérivé est : stable, fixe, règle. 

Que le même idéogramme signifie à la fois changement et stabilité paraît assez paradoxal. 
L’explication est fournie par le Yi Jing lui-même. Il y est dit que la seule chose durable, c’est que tout change toujours tout le temps. Le changement est le seul repère fixe, le seul rythme naturel dont on puisse faire une loi raisonnable : « Les quatre saisons changent et se transforment continuellement, et ainsi le cycle annuel s’accomplit durablement» 

Cyrille Javary

 Yi Jing, hexagramme 32, « Commentaire sur le Jugement ».

La durée est un état dont le mouvement n'est pas annihilé par les obstacles. Ce n'est pas un état de repos, car la pure immobilité est recul. La durée est plutôt un mouvement s'accomplissant suivant des lois déterminées, refermé sur lui-même et, par suite, se renouvelant sans cesse, d'un tout organisé et fortement centré sur lui-même, dans lequel toute fin est suivie d'un nouveau commencement. La fin est atteinte par le mouvement vers l'intérieur, l'inspiration du souffle, la systole, la concentration. Ce mouvement se change en un nouveau début dans lequel il est dirigé vers l'extérieur : c'est l'expiration du souffle, la diastole, l'expansion. C'est de cette manière que les corps célestes accomplissent leur course dans le ciel et peuvent en conséquence briller d'une manière durable. Les saisons se déroulent suivant une loi fixe de changement et de transformation et peuvent par suite œuvrer durablement. Ainsi l'homme qui a entendu l'appel incarne une signification durable dans sa manière de vivre et le monde reçoit par là une forme. A partir de ce en quoi les choses puisent leur durée, il est possible de reconnaître la nature de tous les êtres dans le ciel et sur la terre. (trad. Wilhelm)
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mardi 30 août 2016

Les hommes accèdent à l’unité avec Cyrille Javary

“Yang le matin, yin le soir ”

Dans la culture occidentale, on associe traditionnellement le concept chinois de yang au masculin et celui de yin au féminin. C’est une erreur. Chaque sexe porte en lui les deux principes.

Il n’y a pas de genre dans la langue chinoise, pas de masculin ni de féminin. Les critères esthétiques sont assez proches pour les deux sexes. En revanche, les places des hommes et des femmes dans la société y sont très précisément assignées. Et la sujétion des femmes comme le machisme des hommes y sont une réalité millénaire. Toutefois, les concepts de féminin et de masculin n’existent pas dans les courants philosophiques chinois. Yin et yang ne sont pas des états, des attributs, des sexes ; ce sont des stratégies, des manières d’agir, des vecteurs du changement. Yang regroupe les mouvements centrifuges, dirigés vers l’extérieur, et yin les courants orientés vers l’intériorité. Voilà pourquoi les garçons sont souvent plus sensibles aux stratégies yang, et les filles, aux stratégies yin.

L’âme chinoise a deux versants. Un versant solaire, social, extérieur, masculin, au cœur du confucianisme ; un versant intérieur, lunaire, féminin, mystérieux, au cœur du taoïsme. Un Chinois sera confucéen dans la journée, au bureau : et le soir, taoïste, poète, lunaire.


Les idéogrammes yin et yang ont une partie commune évoquant une colline : l’idée est qu’il est impossible de les isoler car ils sont les deux versants de la même montagne, comme en témoigne leur sens propre : ubac (yin) et adret (yang). 
Chaque être, chaque chose vivante est en même temps et successivement yin et yang. Un jour entier est toujours un jour et une nuit. Cette approche bat en brèche le fameux mythe d’Aristophane, selon lequel homme et femme seraient chacun des moitiés séparées ayant chacune besoin de l’autre pour être complets. “Ces deux moitiés sont en nous et c'est en nous seuls que nous pouvons trouver l’unité, et réaliser nous-mêmes notre plénitude, pour reprendre l’expression de Simon Leys (1). A partir du moment où nous l’avons atteinte, nous n’avons pas besoin d’ajouter ou de retirer quelque chose à l’autre sexe. Nous pouvons l’accueillir tel qu’il est."

1. Simon Leys, sinologue, auteur des Habits neufs du président Mao (Ivrea, 2009). 

Cyrille Javary, sinologue,
est l’auteur de La Souplesse du dragon (Albin Michel, 2014).

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