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mardi 14 mai 2024

Le Zen : une voie de l’action ?

 

Quelle étrange formule pour désigner ce qu’est la Voie du zen, qui semble bien en décalage avec l’idée que l’on s’en fait, à savoir le Bouddha (ou tout autre pratiquant), assis en méditation, impassible, serein et parfaitement immobile.

Une action, cette attitude qui semble bien passive ?

Cette appellation « Voie de l’action » est pourtant tout à fait justifiée, et concerne des niveaux de compréhension et de pratique qui, bien que très différents, sont intimement liés. Le zen :

1 Une voie de l’action dans la pratique régulière d’un exercice spécifique

2 Une voie de l’action dans notre vie quotidienne

3 Une voie de l’action dans la libération de l’infaisable acte d’être.

1 « On ne peut comprendre ce qu’est le Zen que si l’on pratique un exercice … »

Voilà le propos que K. G. Dürckheim a régulièrement entendu au Japon, alors qu’il manifestait un intérêt certain pour le zen. Sous-entendu, « lâchez vos livres, vos savoirs, votre besoin intellectuel de comprendre, et pratiquez un exercice auprès d’un maitre de l’exercice » !

Traditionnellement, les exercices sur la Voie ne manquent pas, qu’ils soient artistiques, artisanaux, martiaux ou issus de la vie quotidienne. Pour comprendre ce qu’est le Zen, l’élève doit donc choisir et pratiquer un exercice spécifique, toujours le même, de manière régulière, sous peine de ne jamais pénétrer le monde du zen.

Cela peut être le tir à l’arc, l’aïkido, la cérémonie du thé, la calligraphie … ou plus simplement za-zen (l’assise), kin-hin (la marche lente). Za-zen et kin-hin sont les deux principaux exercices que nous pratiquons au Centre Dürckheim lors des retraites et sesshins.

Apprendre un exercice, c’est répéter un geste, ou une série de gestes, en maitriser la technique, en maitriser parfaitement la technique … et reprendre ce même exercice.

Cette action sans cesse renouvelée demande discipline, courage, persévérance et forge, au fil du temps, une stabilité et une force intérieure qui nous permettent de continuer inlassablement l’exercice pratiqué et nous gardent sur la Voie.

C’est à ce prix-là que l’on peut, d’une part, découvrir que l’exercice spécifique « déborde » sur le quotidien et, d’autre part, qu’il révèle un autre niveau d’action, qui transperce et dépasse l’attitude d’effort et de volontarisme que l’on peut mettre en place dans une telle pratique.

« Grace à l’exercice, l’homme arrive à lâcher une attitude de repli sur soi, d’autoprotection, résultant d’un manque de confiance, et peut mettre en place un moi fort, lui permettant d’assumer le monde tel qu’il est, et de rester ouvert afin que la Grande Vie coule à nouveau dans sa petite vie » K. G. Dürckheim


2 « …Et plus vous ferez un exercice à fond, plus nombreux seront les domaines de votre vie fécondés par cette profondeur » D. T. Suzuki à Dürckheim lors d’une entrevue au Japon.

Un exercice spécifique, régulier, c’est par exemple la pratique de l’assise tous les matins au lever.

Mais cet exercice ne peut féconder notre vie quotidienne que s’il ouvre sur une rupture avec notre manière d’être et de faire habituelle, et peut se prolonger dans l’existence.

Il est donc important de se poser quelques questions quant à notre manière de pratiquer za-zen, ou tout autre exercice spécifique sur la Voie.

Est-ce que je considère cette pratique comme un surplus d’activité que je m’impose, rajouté à une journée déjà bien remplie ?

Dans ce cas, l’exercice devient une activité banalisée, noyée dans « le tas de choses à faire », et doit être utile, performant, et porter ses fruits en me rendant plus efficace.

Il n’y a pas rupture avec mon fonctionnement habituel, mon besoin de faire quelque chose.

Est-ce que j’effectue cette pratique comme une parenthèse hors du temps, n’ayant aucun rapport avec ma manière d’être au quotidien ?

Dans ce cas, il y a opposition, séparation entre l’essence et l’existence, entre une pratique dite spirituelle, hors du monde, et l’affairement quotidien, et c’est une impasse.

Le quotidien, c’est une pratique de chaque instant où des instructions comme :

- Tout faire un peu plus lentement - Pleine attention à ce pas, ce geste – Se reprendre -

Prennent tout leur sens : « Ralentissement » pour vivre la retenue, la non-dispersion dans l’action, et ainsi goûter une énergie plus fine, une force plus profonde, « Pleine attention » pour ne pas retomber dans le panneau des habitudes, attentif à l’inhabituel, « Persévérance et écoute » pour retrouver une forme, un rythme, une tenue plus juste, en accord avec ma profondeur et l’Ensemble.

Dans le flux du quotidien, il n’y a de changement possible que dans l’action engagée en ce moment, pour ce moment. Par exemple, si je sens que je suis précipité, trop rapide : je ralentis. Le changement est immédiat, ainsi que ses répercussions intérieures et extérieures.

Je quitte mon fonctionnement habituel, fait de réactions mécaniques, d’impératifs, de croyances imposées par le mental, pour découvrir une autre manière d’être et d’agir.

La modification immédiate de ma manière d’être, de mon geste, est un chemin de guérison radical, sans cesse à exercer, renouveler.

Selon maitre Dogen, c’est la pratique de zazen et des quatre attitudes dignes - être debout, être assis, être allongé, marcher - qui constitue le cœur du zen.

Ces attitudes concernent toutes nos actions, notre relation au monde et à nous-mêmes, en tout lieu et en toute circonstance ; elles révèlent ainsi notre manière d’être, d’assumer dignement notre existence, ou nous montrent nos mécanicités, nos résistances et nos peurs.


3 « Maitriser parfaitement un exercice signifie libérer l’action vitale infaisable, propre au corps vivant, que le moi conditionne, entrave, contraint »  J. Castermane

Pratiquer inlassablement un même exercice, ou pratiquer la vigilance dans nos faits et gestes du quotidien, c’est s’ouvrir à un autre niveau d’action que l’on appelle « l’infaisable ».

Cette ouverture, c’est la redécouverte du centre vital de l’homme, Hara, et, par le maintien et le développement de l’attention en ce centre, soumis aux lois du vivant avant d’être sous le joug de notre mental, redécouvrir notre appartenance naturelle à la Grande Vie.

Ces deux pratiques – exercice spécifique ou le quotidien comme exercice – se nourrissent l’une de l’autre.

Ce moment si particulier de l’exercice spécifique nous permet de nous habituer à goûter notre vraie nature, moments fugaces de « touchers de l’être », ou à reconnaitre ce qui nous en sépare. Sans cette discipline dans la pratique, la reconnaissance de notre être véritable nous échapperait, resterait inconsciente. La pratique des attitudes dignes au quotidien est la mise en œuvre dans l’existence de cette reconnaissance.

« La connaissance et la pratique du lien essence / existence est l’une des clés pour progresser sur la Voie » nous dit K. G. Dürckheim

Ce lien, « l’infaisable », sans lequel essence et existence s’opposent, c’est ce que nous ne pouvons pas fabriquer, obtenir à coup d’exercices, garder pour nous ou refuser, rejeter.

Ce sont toutes ces actions qui sont déjà là, depuis le début de notre existence, qui ont leur vie propre, qui puisent leur source dans le Tao, l’ordre des choses, « l’universellement humain ».

Ce contact conscient avec ce que je ne peux pas faire, Moi, me met en contact avec l’essence même d’être vivant, d’être respiré, mis en forme, en action par la Vie.

Des actions présentes depuis la fécondation : « cela » (cellules, embryon, fœtus) se transforme, prend forme, cela respire … sans arrêt et sans mental. Des actions qui continuent chez le bébé, le petit enfant : ramper, s’asseoir, se mettre debout, voir, entendre … Les lois de la vie sont à l’œuvre, sans la présence de ce que l’on nomme par la suite la volonté.

Des actions redécouvertes et révélées sur la Voie, dans la pratique d’un exercice spécifique : forme, tenue, respiration ; voir, entendre, ressentir … actions infaisables, déjà là.

L’acte d‘Être est avant la pensée ; de cette action découlent toutes les autres.

Agir, c’est porter attention à ce qui m’anime, en deçà du besoin compulsif de faire.


Par exemple, être en relation à ce geste du souffle, qui me modèle de l’intérieur, dans une forme, une tenue, un rythme plus juste … juste parce qu’en lien avec les lois du vivant, bien différentes des lois du mental.

Agir, c’est, dans toutes mes actions, sentir ce geste du tout corps vivant que je suis, s’insérant, participant à un évènement plus vaste que « Moi » ; évènement soumis aux lois du changement, de l’impermanence, de l’interdépendance.

Agir, c’est participer à ce geste, être porté par ce geste.

Agir en lien avec l’infaisable, c’est ne plus s’opposer à ce qui apparait et disparait, à ce qui respire, se transforme naturellement, à ce geste de transformation incessant qu’est vivre.

La vie nous oblige à l’action, la présence, la participation, tout le temps.

Agir, c’est répondre à cette obligation. Alors, za-zen : une action ?

Réponse de Tchouang Tseu : « La parfaite immobilité est une action supérieure à toutes les autres »

 Joël PAUL

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vendredi 22 décembre 2023

Etre à l'écoute

 


Aujourd’hui, je vous parle d’un point très particulier, qui n’est pas un point d’acupuncture. 

C’est un tout petit point blanc au milieu d’une immensité noire.

Ce petit point, vous le connaissez tous, il est sur ce dessin : ☯️

Il nous parle de l'incroyable évènement cosmique que nous sommes en train de vivre :

LE MOUVEMENT DANS L’IMMOBILITÉ !

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🟡 21 décembre, solstice d’hiver : 隆冬 lóngdōng

🔹Pour l’esprit occidental : l’entrée dans l’hiver

🔹Pour l’esprit chinois : l’apogée de l’Hiver 冬 dōng

🔹Pour tout l'hémisphère Nord : la nuit la plus longue et la renaissance de la lumière

🔹Pour qui médite dessus : un truc vertigineux, une alchimie bouleversante

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🟡 Que se passe-t-il en terme de Mouvement ces jours-ci ?

Si vous avez déjà eu l’occasion d’observer l’évolution de la place du couchant à l’horizon, alors vous savez qu’aux solstices, pendant plusieurs jours, l’emplacement est quasiment le même, comme si le soleil hésitait avant de changer de sens.

Une sorte d’immobilité vigilante, à l’écoute, pour mieux gérer et suivre le nouveau mouvement naissant.

Cette hésitation, ce retournement profond, on est en plein dedans !

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J’aimerais vous donner quelques exemples de cet instant incroyable.

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🟡 Lorsque vous vous préparez à sauter 🤾, il y a tout le moment de préparation, de repli pour la prise d’élan.

C’est comme un recul à l’intérieur de vous, une condensation.

Puis vient le moment d’initier l’élan pour le saut lui-même. Une ultime flexion des genoux pour l’appui, et le mouvement s’inverse.

🔹C’est ça.

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🟡 Lorsqu’un groupe d’oiseaux 🐦 ou un banc de poissons 🐠 change de direction : on ne saurait pas dire lequel a initié le mouvement, mais on constate une accumulation, une densification et comme un ralentissement, avant de repartir fluidement.

🔹C’est ça.

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🟡 En calligraphie chinoise 🖌, pour tracer un trait droit, on trace en vérité une espèce de 8. On fait une sorte de boucle “sur place” avant de lancer le pinceau.

🔹C’est ça.

Le mouvement est déjà beau en soi, mais c’est encore plus délicieux à vivre avec le résultat visuel de l’encre, qui ne ment pas et nous montrera si c’était bien vécu donc bien exécuté.

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Comprenez-vous ce qui se joue en vous en ce moment ?

Nous sommes dans des jours d'inertie maximale.

Soyez à l’écoute, ressentez ces derniers instants d’immobilité apparente, de repli sur soi avant la poussée, toujours laborieuse au départ, qui permettra au yáng 陽 de renaître des profondeurs du yīn 陰 !

Alice Korovitch

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dimanche 24 septembre 2023

Indicible équilibre

 


La vie telle qu'elle se manifeste est une apparence et n'a pas de réalité propre. Il n'empéche que ce célèbre absolu ne peut être conceptualisé que dans l'apparence. Je considère que cette apparence est tout aussi importante- pas plus - que l'absolu qui ne peut pas être expérimenté dans le relatif.

Même si je suis encore confronté à la difficulté du langage qui ne peut pas exprimer l'indicible, il m'apparait qu'à l'échelle de la compréhension humaine, il existe une loi qui est la matrice de toutes les autres lois relatives connues ou encore inconnues

C'est la loi de l'équilibre.

J'associe volontiers cette loi énergétique et impersonnelle à l'intelligence pure de la vie manifestée. Aucun phénomène de la vie ne lui échappe. Elle est vraie pour tous, et échappe à toutes les appartenances, qu'elles soient scientifiques, religieuses, idéologiques ou spirituelles..

La Totalité, l'Absolu, est de fait en équilibre parfait, donc immobile, hors temps, hors espace. On ne peut rien lui rajouter ni lui retrancher. Le Tout est indéfinissable.

Dans le relatif, l'équilibre parfait ne peut être appréhendé par la partie que sous forme de mouvement, de changement ; c'est l'impermanence.

Les deux aspects coexistent, mouvement et immobilité, C'est le Un qui se distingue apparemment en deux.

Les mouvements relatifs tendent naturellement vers l'immobilité. Pourquoi? Parce que nous sommes de la nature du Tout, de l'immobilité. Même si elle est sustentée par le Tout, aucune forme définie ne s'appropriera jamais l'absolu. La partie un permanente ne saisira jamais le permanent, elle ne pourra jamais contenir le Tout. 

La vie, c'est l'immobilité qui danse.

Daniel Morin - Je, ne sait pas

Editions Accarias L'Originel 

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samedi 3 juillet 2021

Tout change constamment - et moi, et moi, et moi ?

 


La thèse centrale du taoïsme est que tout est en mouvement constant. Cela signifie que tout est en perpétuel changement. Imaginez que vous soyez en apesanteur dans l'espace, avec tout ce qui vous entoure, de la poussière aux astéroïdes en passant par les planètes, sans aucune attache. C'est en fait ce qui se passe, des particules subatomiques au mouvement de notre galaxie.
Nous avons un avantage dans la vie : nous avons la gravité et nous pouvons donc avoir un point d'appui. Ainsi, nous pouvons envisager que tout tourne autour de nous. Je ne veux pas dire cela dans un sens égocentrique. Je veux dire qu'aborder les choses d'un point de vue relativement fixe nous aide à agir efficacement dans le monde. La personne qui connaît le centre peut connaître la circonférence.
Si vous avez déjà fait fonctionner une machine qui tourne, vous savez qu'un centre huilé signifie un minimum de vibrations et une rotation facile. Nous pouvons nous faire ce centre en méditant régulièrement, afin d'être calmes, posés, et fluides. Le plus important, c'est que nous n'ajoutons pas de faux problèmes à notre vie. Nous sommes libres de regarder vers l'extérieur.
Le monde changera toujours, d'instant en instant. Nous changeons aussi. Mais en gardant un centre immobile, nous pouvons faire partie de ce changement au lieu de nous faire tourner en rond.
Traduction et adaptation d'un post de Deng Ming-Dao
par Fabrice Jordan

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mercredi 8 avril 2020

De Notre-Dame au Corona...


Il y a près d'un an, c'était la semaine sainte, et nous assistâmes, incrédules, en direct à l'incendie de Notre Dame de Paris. Un choc, tant cela paraissait improbable, et une sorte de confrontation à la disparition (partielle) non seulement d'un monument emblématique de Paris, mais aussi de l'histoire de France. Une partie de la population se sentait touchée au cœur. Qui aurait supposé çà?

La plupart d'entre nous n'avons pas connu la guerre avec ses destructions, et ses morts. Que doivent vivre tous ces peuples dont les villes ont été rasées par les bombes, qui quittent tout pour s'enfuir, migrer? Les guerres sont loin, pas chez nous en tout cas, jusqu'à ce que...

Qui aurait supposé, là encore, une épidémie touchant la majorité de la population mondiale? Et lorsqu'elle a commencé en Chine en janvier, qui aurait imaginé que petit à petit tout allait se bloquer? Plus d'avion dans le ciel, plus de bateaux, plus de train, plus de circulation, ou dans une proportion infime... Avec comme résultat (entre autres), plus de bruit, plus de pollution dans l'air, dans les ports (enfin nettement moins), et des élans magnifiques de solidarité aussi. Un simple virus microscopique arrête en quelques semaines les méfaits de l'économie mondiale, ridiculise les promesses jamais tenues des COP 25 et autres que font les gouvernements jamais avares de rendez-vous de parlottes organisées et coûteuses.
Bien sûr il y a quelques dizaines de milliers de morts, les plus âgés et déjà en mauvaise santé pour un bon nombre. Mais si on compare par rapport aux autres morts, dont on ne fait jamais un décompte au jour le jour, cela reste minime. Par exemple je viens d'entendre que les morts des suites de la pollution sont plus nombreux que ceux morts à cause du fameux virus.

Sur les ondes on parle de sujets plus intéressants, avec des philosophes, psychologues et autres chercheurs de sens. On parle de l'après! Est-ce qu'on va reprendre comme avant?
Qui peut savoir? Il y a des personnes, astrologues, mais pas que, qui disent, ou disaient en 2019 déjà, que 2020 sera une année historique dans l'histoire mondiale, une année de grands changements (il y a une conjonction planétaire rarissime). On verra. Vu comment ça a commencé, tout est possible.
Soyons d'accord pour vivre le possible, et donc l'incertitude. Réveillons-nous au changement, inéluctable quel qu'il soit. 
Eveillons-nous à l'immobile surtout, à l'immuable.

Yannick (blog : si près de l'horizon)

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