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dimanche 15 juin 2025

À tous ceux qui nous veulent du bien

Face à toutes les injonctions paradoxales ou contradictoires du quotidien, il y a parfois de quoi perdre son latin. Cette chronique salutaire nous invite à renouer avec le bon sens et à nous faire confiance. Par Nicole Prieur

 Je n’ai pas encore eu l’occasion d’aller vérifier si l’enfer était effectivement pavé de bonnes intentions, mais ici sur terre – qui par certains aspects nous donne un aperçu de ce que pourrait être l’enfer – nous sommes gâtés ! Les conseilleurs de tout bord foisonnent. Tant de personnes, que nous ne connaissons pas, à qui nous n’avons rien demandé, nous veulent du bien et souhaitent notre bonheur.

Chaque expert autodésigné, chaque influenceur nous délivre sa recette miracle pour « rester zen » dans un monde en furie, nous accompagne dans notre développement personnel en nous guidant tellement bien que nous n’aurons plus à nous prendre la tête, c’est-à-dire à penser. À les croire, rien n’est plus simple… Chacun y va de sa recommandation, les promesses pullulent sur les réseaux sociaux, levez le bras, buvez ceci, mangez cela, votre vie en sera transformée ; vos angoisses les plus ancrées, vos freins les plus inconscients s’effaceront dans un claquement de doigts. On se demande pourquoi la santé mentale de nos contemporains est si mal en point.

Savons-nous encore penser ?

Dans la même veine, les modes éducatives se succèdent en s’opposant, évidemment. Après avoir dû, pour ne pas être considéré comme des parents indignes, appliquer les règles de l’éducation positive, plus ou moins bien transmises et comprises, voilà qu’on accuse les mères et les pères d’être trop laxistes. Dorénavant il faut punir, appliquer le time out… Combien de femmes et d’hommes ai-je reçus en consultation, culpabilisés, perdus : « On fait comme on nous dit de faire et ça ne marche pas ! »

Mais où est donc passé le bon sens, c’est-à-dire la réflexion qui permet d’analyser, de questionner ? À l’affût de la bonne méthode, savons-nous encore penser ? Nous voulons des réponses immédiates, des solutions magiques, réductrices, pour en finir rapidement avec ce qui nous trouble. Et nous nous enfonçons encore davantage. À force de tout simplifier à outrance, de croire qu’il suffit de peu pour exclure le négatif, nous ne nous donnons pas les moyens d’agir. Albert Camus nous le rappelle : « Il n’y a pas de soleil sans ombre, et il faut connaître la nuit. »

L’autorité, ce n’est pas être autoritaire

La lumière, les perspectives n’adviennent que si on ose sortir d’une conception dualiste, des oppositions stériles, sur le mode « ou-ou ». Avoir le courage d’aborder la complexité humaine, c’est se donner les moyens d’accéder à nos ressources, nos capacités de résilience là où l’espoir semblait perdu. Penser les contraires dans leur complémentarité, c’est agir avec la souplesse nécessaire au respect du réel.

Dans la relation parentale, par exemple, il faudra un jour interdire, un autre « négocier », voire « céder », selon les circonstances, en tenant compte de multiples facteurs que seuls les parents sont capables de discerner. Redonnons aux mères et aux pères leur juste place : ce sont eux les véritables experts ! Ils le seront d’autant mieux s’ils gardent leur liberté, agissent avec discernement.

L’autorité, ce n’est pas être autoritaire, elle ne s’affirme pas avec ou tel ou tel geste, mais il s’agit bien plus d’une attitude. Auctoritas vient du verbe augeo, qui signifie « faire naître, augmenter, produire à l’existence ». Il s’agit de faire advenir notre enfant à ce qu’il y a de meilleur en lui et cela s’invente à chaque instant. Éduquer, n’est-ce pas avant tout préserver l’espoir d’un monde plus juste… qui reste à créer.

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dimanche 7 avril 2024

Quand nos enfants ne sont plus des enfants

Quand nos enfants ne sont plus des enfants, peut-on encore leur donner des conseils ?

 


Quand nos « chers petits » deviennent adultes, comme il est difficile de les considérer comme tels et de trouver la position juste. Nous nous croyons tellement indispensables. Si en théorie nous sommes d’accord pour respecter leur liberté, acceptons-nous vraiment de ne plus avoir notre mot à dire, ? Couper le cordon, oui, mais… il nous faut encore veiller sur eux. Jusqu’à quel âge sommes-nous responsables d’eux ? À partir de quand pouvons-nous les « lâcher » ?

Qu’ils fassent leurs propres armes, nous en sommes fiers. Qu’ils prouvent ce dont ils sont capables, formidable ! Mais qu’ils ne s’éloignent pas trop des projets que nous avions conçus pour eux avec tant d’amour et de pertinence ! Au fond, qui les connaît mieux que nous ? Qui sait ce qui est bon pour eux ? Ils manquent si souvent de discernement !

Pris dans une tempête émotionnelle 

S’ils nous présentent un amoureux, une amoureuse si peu apte, à nos yeux perspicaces, à les rendre heureux, s’ils quittent leurs études, ou leur travail, pour lesquels, c’est certain, ils étaient faits, quand ils prennent une orientation sexuelle qui nous surprend, s’ils divorcent alors qu’on ne comprend pas pourquoi, notre premier réflexe, c’est la peur, le désarroi. Nous sommes inquiets pour eux. Que faire ? Que dire ?

Une tempête nous submerge. Nous sommes pris entre le risque de les perdre si nous nous opposons frontalement, et celui de les voir s’engouffrer dans une impasse désastreuse, si nous ne réagissons pas. Mais sommes-nous vraiment aptes à juger ? Avons-nous encore une quelconque autorité ?

Reconnaître son enfant dans sa différence

Pour trouver la bonne distance émotionnelle, il est déjà important de ne pas considérer que leurs choix signent notre échec de parents. « Qu’ai-je raté ? » : la culpabilité ne résout rien. Ensuite, il s’agit de nous décentrer de notre propre vision, voire de nos propres convictions, faire un pas de côté, vers notre fille, notre fils devenus femme, homme. Efforçons-nous de les regarder, non plus à travers nos yeux de parents, mais de les découvrir comme des personnes à part entière, avec leurs ressources propres. Essayons de comprendre leur choix, avant de le juger, le condamner. Quel sens a-t-il pour eux ? Tentons d’en discuter avec eux, en leur demandant non pas de se justifier mais d’expliquer.


En reconnaissant notre enfant dans sa différence, nous l’affirmons dans sa singularité. C’est de cela que les jeunes adultes ont besoin. « Reconnaître autrui, c’est croire en lui », déclarait Levinas. Accepter les « trahisons » de nos enfants s’avère plus facile si nous avons, nous aussi, en son temps, osé mettre en œuvre les déloyautés nécessaires vis-à-vis de notre famille d’origine. Cette attitude, exigeante, certes, permet néanmoins à chacun de grandir et d’entretenir un lien ouvert et respectueux.

Une leçon d'humilité et un gain de liberté

Mais tout de même, lorsque, le plus objectivement possible, leur option les met en danger, nous ne pouvons nous taire. Avec tact, dans une discussion d’adulte à adulte, amicale plutôt que filiale, nous pouvons essayer de leur exprimer nos inquiétudes. Il ne s’agit pas de leur dire qu’ils ont tort, ni de les convaincre de changer, encore moins de leur donner des conseils mais les amener à avoir un autre point de vue, à réfléchir aux conséquences de leur choix. La décision leur appartient. Nous ne pouvons pas les protéger malgré eux.

Ne plus pouvoir faire pour eux ce qu’on pense devoir faire, renoncer à ce que notre expérience personnelle leur serve nous place face à une impuissance douloureuse. Arrive un temps où nous ne sommes plus les parents que nous aimerions être. Cette leçon d’humilité ouvre sur une appréciable liberté.

Nicole Prieur

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