La pensée scientifique qui veut que : « le coronavirus est un agent infectieux nécessitant un hôte, souvent une cellule, dont il utilise le métabolisme et les constituants pour se répliquer » amplifie notre approche objective du réel. Mais, en vis-à-vis de cette représentation mentale, rationnelle, il est une expérience subjective on ne peut plus réelle: l’hôte n’est pas quelque chose, une cellule; l’hôte est quelqu’un, un être humain. Quant à l’agent infectieux, il est lui aussi, comme l’être humain, un être vivant.
Nous voilà donc, depuis quelques semaines, mis en danger de mort par cet être doué de vie qui est partie intégrante DE la Nature. Et l’être humain, pourtant doué de raison se trouve démuni. Le faiseur de bombe atomique n’a présentement, face à ce qu’il considère comme étant un prédateur, d’autre arme que le masque et, sur le plan stratégique, le confinement.
Depuis la Genèse, en passant par Descartes et, depuis quelques années, à travers sa recherche orgueilleuse de fabriquer un homme augmenté, l’être humain s’affirme différent du règne animal, du règne végétal. Il dédaigne absolument qu’il est, comme tout être vivant, partie intégrante DE la Nature; jusqu’à penser que la Nature lui appartient. Possesseur de la Nature il s’autorise à exploiter la terre, la forêt, la végétation, les animaux; il pollue l’air et contamine l’eau; il croupit dans les déchets dont le volume est la mesure quantitative de ce besoin égocentrique qu’est la consommation des objets fabriqués mondialement par la société de consommation.
Et voilà qu’un tout petit être vivant, invisible à l’œil nu, sème le chaos dans le monde entier, dont les plus grandes puissances économiques du globe. Ce minuscule être vivant détraque, en quelque semaines, une quête de sens engagée à travers l’usage des verbes AVOIR (toujours plus), SAVOIR (toujours plus), POUVOIR (toujours plus).
En confrontant l’être humain (chaque être humain) à la loi de l’impermanence, et donc à sa fin dernière, notre ami(e) Corona, attire notre attention sur l’importance du verbe ÊTRE, du tout simple acte d’être.
Être est un verbe d’action.
Quelle action ? « Je suis ! » ! Indication que l’acte d’être n’a de réalité qu’au moment présent. Ici et en ce moment : « JeSuis ». Ayant besoin des mots pour évoquer ce qui est du domaine de l’expérience, je propose d’écrire « Je Suis » sans intervalle entre le sujet et le verbe. « JeSuis » indique qu’il n’y a ni distance ni écart de temps entre ce que je nomme « Je » et ce que je nomme « Suis ». Pas de dualité sujet-objet.
Quand avez-vous dit pour la dernière fois « JeSuis » ? Le plus souvent et inconsciemment vous ajouterez une désignation, une qualification, un titre, un attribut, un savoir-faire. Un ajout qui va vous donner une identité. Nous disons facilement MOI je suis; jusqu’à penser que MOI je suis ce que je pense que je suis.
Et voilà que d’un jour à l’autre le Moi mondain est confiné ! Deux jours, pourquoi pas ? Mais quatre semaines, peut-être six ? Plus !
Quoi faire ?
Je découvre, avec étonnement, que dans la langue anglaise, le mot confinement est synonyme d’accouchement (delivery).
Restez chez vous !
J’ajouterai volontiers à cette injonction gouvernementale le souhait du maître zen : Restez chez vous et profitez-en pour « Rentrez à la maison ! ». Oui, profitons de ce confinement pour, pas à pas, délivrer notre vraie nature d’être humain —« JeSuis »— de son enfermement dans cette illusoire identité cuirassée dans le pronom personnel tonique : MOI.
Que faire à l’occasion de ce confinement ?
Voici la réponse que nous aurait sans doute donnée Graf Dürckheim :
« Se glisser de la logique de l’entendement dans la logique du sensible. Sans répit, nous sentir en contact avec notre propre essence, notre vraie nature d’être humain. Cette réalité essentielle, que nous sommes nous-mêmes, est en opposition radicale avec la réalité de notre ego, du moi mondain. Avec ce moi mondain, nous surmontons et concevons notre vie dans le monde grâce à la conscience DE (la conscience des choses). Si nous prêtons attention à notre être essentiel, il nous faut déconstruire ce qui l’entrave et promouvoir ce qui la rend possible. Ce qui l’entrave est principalement ce qui détermine l’attitude fondamentale du moi mondain, qui veut se maintenir dans le monde; ce « moi, je suis moi et je veux rester moi » qui se sent toujours menacé et est toujours à l’affût, et c’est pourquoi il est toujours tendu. Pratiquez zazen !
Dé-tendez-vous. Dé-contre-actez-vous. Zazen est un exercice de métamorphose indissociablement corporel et spirituel. Ce mouvement de transformation du corps vivant que nous sommes, c’est dans ce qu’on appelle la respiration que nous l’expérimentons. La respiration est davantage qu’une alimentation de l’homme en oxygène. L’acte de respirer est l’action vitale absolue ».
Ce qui me touche, à la re-lecture de cette leçon avec Graf Dürckheim qui date des années 1970, c’est l’importance qu’il donne à ce que nous désignons comme étant la respiration, « ce geste de la vie qui nous fait vivre ». Des entreprises sont, ces jours-ci, dans une course effrénée pour fabriquer des appareils … respiratoires. Si vous avez la chance de n’en avoir pas besoin pour survivre, abandonnez-vous à cette action du tout corps vivant dans sa globalité et son unité.
« Quel mystère … quel miracle … je respire » s’exclame un moine zen en pratiquant zazen. L’expérience « jeSuis » est intégrée dans un espace plus vaste que le monde ordinaire dans lequel nous existons quotidiennement.
Et Graf Dürckheim ajoute :
« Lorsque nous pratiquons zazen il arrive que nous sentons et ressentons quelque chose de la présence de notre propre essence. Nous ressentons une -force- qui n’a rien de commun avec la force du moi et qui est l’expression d’une -plénitude- créatrice. Nous expérimentons que notre existence prend -sens- là même ou sur le plan de l’ego nous sommes confrontés au non-sens, à l’absurde. Nous expérimentons cette réalité qu’est notre être essentiel à travers ce vécu intérieur qu’est le sentEment -d’unité-. Expérience du calme intérieur au cœur de l’agitation du monde. Nous reste alors le devoir de nous familiariser à ce contact sensoriel avec notre vraie nature. Comment ? En reprenant encore et encore la pratique de zazen ».
Jacques Castermane
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