When you first meet someone
they seem so sincere
when you scratch the surface
get a little too near ... (Lee Lozowick)
C’est quand même saisissant de constater à quel point , quand quelque chose de la stratégie de survie (le masque) est effleuré, la manière dont nous débattons obéit à des figures obligées. C’est comme une chorégraphie dont il est possible de prévoir à l’avance chacun des mouvements.
Cela alors même que la personne en cause s’éprouve plus que jamais singulière, s’arc-boute sur sa « liberté »…
Ce serait comique si ce n’était pas déchirant. Cela débute presque toujours par un détail, « un petit rien, une bêtise ».
Plusieurs cas de figure.
Souvent, la personne prend la parole pour évoquer en général autre chose, un arbre qui cache la forêt. Parfois elle cherche l’air de rien à prendre en défaut l’enseignant, pointant une « contradiction », une « erreur », tout en faisant mine de ne pas y attacher d’importance … Ou alors elle entreprend de s’expliquer sur un propos précédent qui aurait été « mal compris » ; ou elle tient un discours visant à démontrer la profondeur et la justesse de sa pratique.
En tout cas, le démarrage se fait la plupart du temps sur un point « de détail » sous la surface duquel grouillent des nuées de monstres, ceux là même qui tirent depuis si longtemps les ficelles de la marionnette à laquelle la personne s’identifie.
A ce moment là, soit l’enseignant, vieux singe à qui on n’apprend pas à faire la grimace, relève et cherche à en tirer un profit, si il ou elle le sent possible.
Auquel cas il ou elle prend un petit risque, se lance les yeux ouverts dans un échange dont il est à peu près sûr qu’il ne sera pas de tout repos et lui demandera un surcroit d’attention et d’énergie, dans le moment et par la suite . Car il s’agira d’assurer le service après vente, et c’est bien pourquoi ce type d’intervention ne peut se faire sauf exception que dans le cadre d’un lien à durée indéterminée, d’un véritable accompagnement qui ne s’arrête pas à la fin du « stage » ou « séminaire » .
Soit, estimant que rien n’est possible présentement, l’enseignant(e) botte en touche. Quoi qu’il en soit, si l’enseignant (e) « relève le défi », les choses périlleuses commencent.
La personne se sentait déjà confusément en « déséquilibre », son intervention ayant visé à ce qu’elle se rééquilibre en surface. Et voilà qu’elle se sent de suite commencer à perdre pied.
C’est alors qu’arrivent les « protestations ». Non non, ce n’est pas ce qu’elle voulait dire, on l’a manifestement mal comprise, elle s’est certainement mal exprimée, qu’à cela ne tienne elle va clarifier son propos.
L’enseignant (e) signifie alors qu’il ou elle a très bien compris, et que le vrai sujet se situe ailleurs, pas tout à fait là où on le croit … aïe aïe aïe …
A ce stade, soit la personne qui se retrouve bien malgré elle et tout en l’ayant cherché à l’insu de son plein gré sur la sellette capitule, pour son plus grand honneur et sa profonde paix, mais c’est rare. Elle « capitule » parce qu’elle voit et dans ce cas là cette capitulation est une splendide victoire sans vaincu , un moment de gloire…
Soit, et c’est ce qui se passe dans l’immense majorité des cas, la personne - ou plutôt la marionnette à laquelle la personne s’identifie- redouble de protestations, d’explications, d’argumentations…
C’est le moment où l’on voit des gens intelligents et sensibles devenir momentanément idiots, tenir des propos absurdes, incohérents, dénués de bon sens.
C’est le moment où tout le groupe présent (en tout cas la majorité) est consterné et gêné, chacun percevant bien ce qui se joue, tant il est vrai que notre stratégie de survie est transparente aux yeux des autres, même si ils demeurent aveugles à la leur propre (la fameuse « poutre » qui ne nous empêche pas de voir la paille dans l’œil de nos semblables) .
C’est le moment où, contrairement à ce qui se passe si souvent en thérapie de groupe, parfois avec profit mais souvent au prix de gros dégâts, il importe surtout que le groupe se taise, soit là, vraiment là, mais en soutien silencieux. Surtout pas de « retours »…
C’est un passage, un passage délicat que l’enseignant (e) doit gérer avec la maîtrise d’un commandant de bord en pleine tempête quand le pilote automatique fait défaut.
Comment faire en sorte que le travail se fasse sans que ce soit une boucherie, que la personne se voit démasquée sans se sentir durablement malmenée (je dis durablement parce que tout effleurement du masque sera sur le moment vécu comme une atteinte), voire humiliée…
Comment permettre à l’élève de ne pas se sentir durablement défait alors même que la stratégie est déjouée, exposée, mise en déroute ? Comment œuvrer avec délicatesse tout en traitant le mal près de la racine ?
C’est le moment où l’enseignant se fait chirurgien - dentiste à l’œuvre tout près du nerf mais sans anesthésie… Pas étonnant que plus grand monde ne veuille faire ce job, pas étonnant que le dit travail ne soit même plus envisagé et conçu la plupart du temps, laissant la place aux berceuses de la « non dualité » pseudo radicale ou du "développement personnel »…
C’est le moment où la personne, se débattant de plus belle, s’enlise, coule, bat des pattes, s’accroche à n’importe quelle branche pourrie, cherche des alliances , écarquille les yeux, parfois pleure des larmes de crocodile, s’agite en tous sens…
C’est un spectacle totalement prévisible, une chorégraphie encore une fois, une danse qui fait mal, celle de la souffrance agrippée à elle même, résolue à ne pas céder un pouce de son empire…
Et c’est le moment où il faut , du côté de l’enseignant, savoir arrêter honorablement le combat avant qu’il ne vire à l’affrontement frontal, négocier un armistice décent qui ne laisse pas l’autre écrasé, tendre une main généreuse sans pour autant laisser le presque noyé oublier qu’il ou elle a voulu faire le malin et présumé de ses capacités à nager par gros temps …
C’est le moment où il s’agit de passer à tout autre chose, de ne plus en reparler jusqu’au moment propice, de faire preuve de légèreté. C’est le moment de plaisanter gentiment, de danser, de trinquer, de respirer.
Et, d’un bout à l’autre, c’est le moment de la compassion, de la compassion non dite mais dominante hors laquelle tout ce processus n’est plus que mascarade sadique, pseudo folle sagesse , bidouillages d’apprenti sorciers et autres caricatures , Gurdjieff au petit pied …
S’ensuit souvent pour la personne un moment de fermeture, plus ou moins assumée, plus ou moins vue et déjouée par l’élève en la personne, un moment d’apitoiement sur soi même où la créature recroquevillée se fait la liste des torts odieux qui lui ont été infligés par le ou les enseignants.
C’est un passage périlleux, celui où l’on pourrait si on n’y prend garde, prendre ses cliques et ses claques, partir en un geste pathétique et grandiose, s’offrir un pied de nez amer, une pirouette désespérée. Certains le font et n’en reviennent pas.
Dans ces cas là, il appartient à l enseignant de procéder à son examen de conscience et de se demander si il ou elle n’a pas mal évalué les forces en présence, présumé de l’aptitude de l’élève…
Etant entendu que l’enseignant aussi a droit à l’erreur, pourvu que la compassion ait été là, et même si il importe qu’il ou elle ne cesse de gagner en expérience, afin que sa main se fasse de plus en plus sûre, son geste de plus en plus adéquat et précis, bref et décisif.
Si la personne, par on ne sait quelle grâce, consent à faire passer la vérité avant le faux semblan , à privilégier l’émergence de son visage originel par dessus le masque, alors c’est si beau, si nourrissant …
Alors le vrai éclate de sa splendeur rare.
Gilles Farcet
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