Dans le conflit, il n’y a aucune connaissance possible de l’émotion. On peut être réputé pour ses accès de désespoir ou pour ses colères, et mourir sans avoir la moindre connaissance réelle de ce qu’est l’émotion. On arrive simplement dans l’impasse de ce conflit qui s’exprime en français dans les tournures grammaticales bien courantes où nous distinguons « je » et « moi ». « Je ne me comprends pas moi-même, comment est-ce que j’ai pu faire une chose comme ça. » Ou « Je ne sais pas ce qui m’a pris. » Toutes les phrases où vous employez « je » et « me » sont l’expression d’une division qui vous abuse parce que vous pouvez confondre ce « je » du langage courant avec le témoin, avec le véritable « je », et « me » ou « moi » avec l’ego. Et en fait ce n’est pas cela. Dans ce cas-là « je » signifie une moitié de l’ego que vous avez privilégiée et « me », « moi », ou « ni » signifie l’autre moitié de l’ego que vous condamnez. Cela n’a rien à voir avec la connaissance sans dualité. La vigilance, la conscience, l’œil qui est « la lampe du corps », ce regard qui éclaire nos ténèbres intérieures, n’a aucune forme particulière. Par conséquent, il n’est pas un autre que ce qui est vu. Mais quand vous dites : « je me » – ce qui est un vocabulaire courant – vous vous emprisonnez. « Je », c’est tout ce que vous estimez bien ou bon en vous, tout ce qu’on vous a appris à trouver bien, et « me », c’est tout ce que vous avez appris à condamner. Cela n’a rien à voir avec la vérité de vous-même ! À partir de l’enfance, éventuellement même à partir de samskaras de vies antérieures qui se révéleront à un moment ou à un autre de votre sadhana, vous avez, comme les psychologues l’ont si bien confirmé, créé en vous un personnage fait d’imitation ou d’imitation négative de ceux qui ont compté dans votre vie faible et dépendante de petit enfant, c’est-à-dire le père, la mère, un onde proche, une tante, les grands-parents, la maîtresse d’école, un maître que vous avez soit aimé soit haï dans vos études primaires. Et cela se poursuit : onze ans, douze ans, quinze ans. Vous continuez à vous diviser en deux : ce que vous aimez et ce que vous n’aimez pas, ce que vous considérez comme bien et ce que vous considérez comme mal – au mépris total de votre vérité complexe mais bien présente. Finalement se crée une image de vous...
Comprenez bien qu’il n’y a pas que l’expression pleine et entière des émotions qui permet de s’en libérer. Ne vous laissez pas induire en erreur par les bienfaits de l’expression. D’autant plus que toutes sortes de thérapies modernes sont centrées sur la possibilité d’exprimer les émotions réprimées, à commencer par la plus célèbre : la thérapie primale du docteur Janov, ou les différentes « thérapies par le cri » dont vous avez peut-être plus ou moins entendu parler. C’est vrai que la répression n’est pas un chemin ; c’est vrai que l’expression pleine et entière des émotions libère momentanément ; et, si cette expression pleine et entière des émotions est accomplie consciemment, sans conflit, et insérée dans l’ensemble d’un chemin de compréhension, cette libération momentanée peut devenir un jour définitive. Mais qu’allez-vous faire des émotions que vous ne pouvez pas exprimer à travers la thérapie primale ou les différentes thérapies par le cri – ou les lyings de Swâmiji ?
Vous manquez le point le plus important de la sadhana : dans l’existence, de minute en minute et de jour en jour, vivre consciemment les émotions – et contrôler. Je suis en colère – sans aucun doute ; il n’est pas question de créer un clivage à l’intérieur de moi, de penser que je ne devrais pas être en colère ; mais il n’est pas question non plus, dans les conditions et circonstances présentes, d’exprimer cette colère. Ce serait ne plus tenir compte des autres éléments de cette situation – ne plus tenir compte des autres humains (effrayer mes enfants, blesser quelqu’un moralement) ni des autres aspects de moi-même et, par exemple, me faire un tort qui alourdira encore mon karma. Je vous promets, et c’est à vous de le vérifier et de le vivre, que, si vous le voulez vraiment, vous pourrez être ému tout en contrôlant.
Arnaud Desjardins
Au-delà du moi
À la recherche du soi II
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1 commentaire:
Le si vous voulez vraiment est ce qui m’interpelle.
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