Plutôt que par la figure traditionnelle du reclus, contempler se comprendra mieux par l’attitude qui consiste à s’exposer au regard de la lumière, en ouvrant largement le nôtre, en le lui offrant comme un long tapis déroulé sous ses pas. La contemplation décline tout le registre de la perception, mais dans le sens de l’accueil, du libre accès : entendre, voir, laisser résonner, laisser pénétrer, sentir, intérioriser ; percevoir, recevoir, saisir, prendre conscience d’une réalité qui nous échappe, qu’on laisse filer – la saisir au vol, la retenir, pour s’en imprégner et y entrer davantage.
Percevoir avec notre esprit, notre chair intérieure. Laisser s’élargir l’instant présent, non plus d’avant en arrière, comme nous le faisons d’habitude, vers le passé et l’avenir, mais de haut en bas et de droite à gauche, à la mesure de l’espace qui nous environne. Abandonner un moment le souci de l’information, le savoir sommaire, la fiche technique qui accompagne chaque chose, pour la regarder en intégrant ce qu’il y a d’invisible autour d’elle, cette auréole de solitude lumineuse qui l’enveloppe comme une mandorle. Il est une sorte d’intimité du réel, qui m’est intérieur comme je lui suis intérieur. Non pas une humanisation de la moindre chose, en lui prêtant mon âme et mes sentiments, mais en l’appréhendant dans la totalité d’un être du monde qui résonne en chacune de ses cellules vivantes, dans le bibelot isolé, le plus petit brin d’herbe, pourvu que nous les regardions avec une attention purifiée, dégagée de nos préoccupations immédiates.
Regardons l’arbre pour lui-même, dans la lumière dorée qui lui fait comme une seconde écorce. Regardons-le sans trop d’insistance, sans peser de tout notre poids sur sa présence légère et silencieuse. Laissons-le se déployer dans l’azur du ciel à la manière d’un élan gratuit et généreux, une explosion muette, et sur le fil à peine tendu de ce regard attentif sans curiosité, présent et distrait à la fois, se fera entendre le murmure intérieur : vous regardiez un arbre et vous percevez l’universel.
L’exercice, cependant, est délicat : s’abandonner à l’attention. Savant mélange d’effort, de vigilance, et de distance, presque de détente. C’est dans cet équilibre difficile, nécessairement instable, que la vie peut donner toute sa lumière, que l’esprit devient une aventure, l’être, un espace libre et exaltant. Essayez, fréquemment, n’importe quand, sur un banc, dans la rue, dans un train, dans un square ou une forêt – les visages, les ombres et les lumières, les grands ciels gris ou les infinis d’azur. Essayez, vous verrez, Dieu vous parlera autrement.
C’est tout cela que doit porter notre action : cette plénitude, cette présence qui laisse affleurer le tréfonds où elle s’enracine. Mais pour y parvenir, il nous faut suspendre un moment le regard, l’immobiliser pour que ses eaux se clarifient, attendre patiemment que tous les sables remués retombent au fond, que la surface redevienne lisse. Le retourner vers soi aussi, plus souvent, non pas s’observer, se crisper, mais s’exposer à cette lueur fragile qui remonte des confins de notre être, comme un murmure des commencements, le rayonnement d’un premier matin qui en nous, à chaque instant, chaque battement, renouvelle son miracle fondateur. Contempler, sans rien forcer, sans même parfois le savoir, c’est s’ouvrir à cet instant immémorial, cette éclosion bleue de la terre primitive, comme un fond d’éternité et de paix derrière chaque objet, chaque heure, chaque visage qui apparaît, chaque geste, s’il sait ne pas en troubler la surface. Rechercher cette clarté : Dieu se respire si l’on vit la réalité dans une complète transparence.
Contempler, c’est percevoir avec notre esprit, notre chair intérieure. Essayez, fréquemment, n’importe quand, sur un banc, dans la rue, dans un train, dans un square ou une forêt. Vous verrez, Dieu vous parlera autrement.
Philippe Mac Leod
(source : La Vie)
Percevoir avec notre esprit, notre chair intérieure. Laisser s’élargir l’instant présent, non plus d’avant en arrière, comme nous le faisons d’habitude, vers le passé et l’avenir, mais de haut en bas et de droite à gauche, à la mesure de l’espace qui nous environne. Abandonner un moment le souci de l’information, le savoir sommaire, la fiche technique qui accompagne chaque chose, pour la regarder en intégrant ce qu’il y a d’invisible autour d’elle, cette auréole de solitude lumineuse qui l’enveloppe comme une mandorle. Il est une sorte d’intimité du réel, qui m’est intérieur comme je lui suis intérieur. Non pas une humanisation de la moindre chose, en lui prêtant mon âme et mes sentiments, mais en l’appréhendant dans la totalité d’un être du monde qui résonne en chacune de ses cellules vivantes, dans le bibelot isolé, le plus petit brin d’herbe, pourvu que nous les regardions avec une attention purifiée, dégagée de nos préoccupations immédiates.
Regardons l’arbre pour lui-même, dans la lumière dorée qui lui fait comme une seconde écorce. Regardons-le sans trop d’insistance, sans peser de tout notre poids sur sa présence légère et silencieuse. Laissons-le se déployer dans l’azur du ciel à la manière d’un élan gratuit et généreux, une explosion muette, et sur le fil à peine tendu de ce regard attentif sans curiosité, présent et distrait à la fois, se fera entendre le murmure intérieur : vous regardiez un arbre et vous percevez l’universel.
L’exercice, cependant, est délicat : s’abandonner à l’attention. Savant mélange d’effort, de vigilance, et de distance, presque de détente. C’est dans cet équilibre difficile, nécessairement instable, que la vie peut donner toute sa lumière, que l’esprit devient une aventure, l’être, un espace libre et exaltant. Essayez, fréquemment, n’importe quand, sur un banc, dans la rue, dans un train, dans un square ou une forêt – les visages, les ombres et les lumières, les grands ciels gris ou les infinis d’azur. Essayez, vous verrez, Dieu vous parlera autrement.
C’est tout cela que doit porter notre action : cette plénitude, cette présence qui laisse affleurer le tréfonds où elle s’enracine. Mais pour y parvenir, il nous faut suspendre un moment le regard, l’immobiliser pour que ses eaux se clarifient, attendre patiemment que tous les sables remués retombent au fond, que la surface redevienne lisse. Le retourner vers soi aussi, plus souvent, non pas s’observer, se crisper, mais s’exposer à cette lueur fragile qui remonte des confins de notre être, comme un murmure des commencements, le rayonnement d’un premier matin qui en nous, à chaque instant, chaque battement, renouvelle son miracle fondateur. Contempler, sans rien forcer, sans même parfois le savoir, c’est s’ouvrir à cet instant immémorial, cette éclosion bleue de la terre primitive, comme un fond d’éternité et de paix derrière chaque objet, chaque heure, chaque visage qui apparaît, chaque geste, s’il sait ne pas en troubler la surface. Rechercher cette clarté : Dieu se respire si l’on vit la réalité dans une complète transparence.
Contempler, c’est percevoir avec notre esprit, notre chair intérieure. Essayez, fréquemment, n’importe quand, sur un banc, dans la rue, dans un train, dans un square ou une forêt. Vous verrez, Dieu vous parlera autrement.
Philippe Mac Leod
(source : La Vie)
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