Oui, la terre est basse, me dis-je en binant – ou sarclant ? – les fraisiers...
La terre est basse, mais le ciel au-dessus de nous est immense, d’un bleu radieux qui semble tout droit sorti d’un tube d’aquarelle. Nous avons décidé que ce serait pour cette fin de semaine, que nous nous y mettrions tous, que le jardin, un peu négligé ces derniers temps, ressortirait tout pimpant de nos efforts. Quelqu’un a ajouté que nous devrions réfléchir à en faire plus qu’un travail, pour que cette journée continue notre pratique de la méditation. Il s’en est suivi une discussion, eh bien, assez animée : les uns tenant que travailler en silence comme nous le faisons, que ce soit dans la cuisine ou au jardin, est déjà en soi une approche de la méditation ; les autres, que le travail du jardin est un excellent moment pour approfondir ce silence et cette présence.
Nous sommes arrivés de bonne heure, fraîche rosée et parfum d’herbe, avec nos outils, nos brouettes, les thermos de thé, et tout plein de bonnes intentions. Personne n’a discuté la répartition des tâches, ni la distribution des houes, sarcloirs, et autres grelinettes, et calmement nous nous sommes mis au travail, qui, dans les pommes de terre, qui auprès des tiges de haricots grimpants, et moi, donc, à nettoyer les fraisiers. Je peux dire honnêtement que dans les premiers temps j’ai été très attentive : je coupe les grandes tiges qui s’échappent des pieds, et replante les petits fraisiers qui couronnent ces tiges. J’ai rempli mes pots, en tassant bien la terre, comme on m’avait dit, mais je dois reconnaître que, peu à peu, des visions de fraises bien rouges, bien juteuses, de fraises au sucre, ou bien à la crème, de tartes aux fraises ont commencé à bousculer ma concentration...
Je ne dois pas être la seule à m’éparpiller quelque peu ! Outre la gourmandise dans mon cas, il y a le dos qui commence à tirer, le coucou qui nous amuse, tantôt ici, tantôt là, comme un enfant qui se cache, l’envie de se dégourdir les jambes. Près de moi, notre jardinière en chef quitte ses salades, et se dirige vers la clochette que, finalement, nous avons apportée avec nous.
C’est notre « clochette de l’attention » : pendant les retraites, une fois par heure, nous la faisons sonner. À ce moment-là, chacun s’arrête, pose son livre, sa casserole ou son outil, et, pendant une minute, nous revenons ici même, revenons à nous-mêmes, à notre respiration ; nous redevenons présents, parce qu’il est si facile de se laisser emporter par une tâche, par ses pensées, par ce qui vient après, et encore après... Souvent, nous nous sentons dérangés, bousculés par cette pause, aussi courte soit-elle, ce qui en dit long sur notre difficulté à revenir à ce qui nous entoure.
Nous avons appris cette pratique du maître vietnamien du village des Pruniers, et décidé de l’appliquer à cette journée de jardinage. Au son limpide de cette clochette, je me redresse, me replace dans le potager : terre humide et lourde sous mes pieds qui me tient bien en équilibre, espace infini du ciel qui balaye mes petites pensées et me redonne ma dimension véritable, présence des autres qui me soutiennent comme je les soutiens... Un oiseau traverse le ciel, et je me souviens de ce haïku : « L’alouette s’élance dans le ciel, complètement libre... »
Complètement libre ! C’est vous, c’est moi, c’est nous tous, dès que nous sommes complètement présents, laissant jaillir en nous cet instant infini...
Ding !
Joshin Luce Bachoux
source : La Vie (juillet 2012)
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