La dernière lettre du Centre parlait de « notre responsabilité de proposer le calme intérieur, le silence intérieur » dans toutes les situations existentielles rencontrées et dans nos relations. Associer calme et relations humaines n’est pas une mince affaire.
A ce sujet, Jacques Castermane nous rappelle que « Le calme n’est pas le fruit de la pratique quotidienne de zazen, mais que la pratique de zazen est, quotidiennement, l’occasion d’exercer le calme.»
Accueillir, embrasser ce qui se présente et goûter le calme qui en résulte ne s’arrête pas avec la fin de l’assise solitaire en zazen. Le calme n’est pas un gain intérieur à atteindre, à garder, à protéger lors de rares moments, mais une manière d’être sans cesse interrogée, remise en cause, bousculée, par les situations de l’existence. Exercer le calme est un geste qui nous confronte à la relation tout au long de la journée, qui nous oblige à nous remettre en cause, à sortir de notre confort, de nos préjugés et de nos habitudes. A ce titre, le calme n’est pas de l’apathie, de la distance, de la passivité, mais une attitude d’éveil à nos capacités d’adaptabilité et d’ouverture, afin de voir et sentir une situation dans son ensemble, et tenter par notre action de « coller au réel ». Ainsi une colère, de la rigueur, un geste ferme s’imposent parfois comme des actions justes.
K.G.Durckheim parle du zen comme d’un chemin de maturité de l’Homme, par la redécouverte de l’être essentiel niché au cœur de chacun de nous, source de complétude, d’apaisement et de confiance. Ce contact intime est à développer dans tous les aspects de l’existence, y compris dans le domaine relationnel. (cf. le livre : la percée de l’être)
Un homme mûr est tout le contraire d’un adulte infantile, soumis à ses humeurs changeantes et réagissant sans arrêt à ce qui le contrarie, intérieurement et extérieurement, faisant subir à son entourage son manque de stabilité et son agitation. Si cette maturité intérieure se renforce peu à peu, au fil d’expériences plus ou moins fugaces et inspirantes vécues lors de moments privilégiés, elle doit aussi nous accompagner dans notre réalité existentielle, car, comme le souligne Durckheim :
« Je dois reconnaitre que si moi je suis cette profondeur, cette possibilité de vastitude, l’autre l’est aussi, quelle que soit sa surface. »
La voie du zen nous ouvre-t-elle, avant même de parler « de bonté immuable », à une certaine chaleur humaine dans nos relations ? Sommes-nous capables, dans la contrariété, de :
« Nous ressaisir en souriant et prononcer des paroles apaisantes plutôt que blessantes. »
« Développer une capacité d’aimer non dépendante de la sympathie ou de la reconnaissance d’autrui. »
« Reconnaitre que le zen, c’est l’amour et la compassion qui énoncent l’unité qui relie tous les êtres, et que le zen veut le dévouement absolu de chacun envers cette unité, au lieu même qui lui est assigné par le destin ». K.G. Durckheim
Retrouver ce lien d’humanité, cette unité, c’est apprendre à s’appuyer sur notre profondeur, voir l’universellement humain en tout être humain, mais aussi reconnaitre l’universellement vivant en tout être vivant, et même traiter avec respect chaque objet du quotidien, partout, tout le temps.
Propos d’un maitre zen à Jacques Castermane lorsque celui-ci claque une porte lors d’une sesshin : « Que vous a fait cette porte pour mériter pareil traitement ! »
Quant à Durckheim, il disait à des religieux venus le trouver : « Vous devez perdre tout intérêt pour ce qui est de l’idée que vous avez d’un créateur, pour vous intéresser à ce que vous avez réellement sous les yeux : la création. »
Sacré programme ! Avant de devenir le cœur d’une pratique sacrée reliant essence et existence, ces paroles nous invitent à sortir de notre monde, de notre façon de penser, à ne pas rester à la surface des réactions et des jugements mécaniques propres au mental.
Si le zen est restreint à l’espace d’un dojo, où, assis en zazen, nous tentons de vivre d’intenses expériences spirituelles (et vivons d’intenses difficultés intérieures !), cela peut développer une certaine image héroïque de la Voie, et nous faire oublier comment vivre une existence ordinaire simple et apaisée. En développant ainsi un « ego spirituel », nous courons le danger de fuir le monde.
Si, par la stabilisation du monde émotionnel et mental et la redécouverte d’une étonnante force vitale en « hara », le zen développe un moi plus fort et plus équilibré, ces effets gratifiants de l’exercice présentent un autre danger : celui de s’arrêter aux seuls aspects de maitrise, d’efficacité et de performances dans le monde. La voie est alors mise au service du moi. Le processus de transformation initié par une pratique sérieuse et régulière nous enferme dans l’impasse d’un certain confort relatif, et apparait le risque de « S’arrêter à une certaine forme, et trahir l’être essentiel. »
Il est donc important de se demander si le zen que nous pratiquons n’est pas devenu une confortable habitude nous maintenant hors de la vérité du monde, ou une nécessaire et utile obligation ne servant que la vie mondaine. Pour cela, rien de tel que d’accepter d’être bousculés.
« L’obstacle nous donne la chance de murir, pas l’évitement. » (Jacques Castermane)
Bousculés par le maitre de l’exercice, remettant en cause notre idéal spirituel, ou bousculés par les difficultés soigneusement évitées jusqu’alors que l’existence se charge de mettre sur notre chemin, remettant ainsi en cause notre illusoire maitrise du monde.
La relation à l’« Autre », tout comme zazen, sont de vastes champs d’apprentissage du non refus, domaines où des expressions telles que – Se reprendre, pleine attention, coller au réel, être un avec - sont sans cesse réactualisées.
La Voie se joue donc sur le zafu et dans notre capacité d’ouverture et de rencontre avec toute situation et dans toute relation, équilibre du chemin vers le Grand Calme.
Joël PAUL
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