(extrait du "carnet")
Daniel Roumanoff raconte qu’ayant emmené Swamiji sur un marche en normandie, ce dernier fit ensuite la réflexion qu’il n’y avait vu qu’une seule personne « normale »
Comment comprendre cette notion de « normalité », propre à prêter à bien des confusions , notamment eu égard aux « normes » auxquelles on se réfèrerait ?
« Normal » selon quelles normes, au juste ?
Etant entendu que les normes, comme la morale qui d’ailleurs en est une, évoluent, voire changent considérablement selon les époques et cultures…
Qu’est ce donc, en tant que personne, que être de plus en plus « normal , ou de moins en moins « anormal », par delà les critères moraux, les références et appréciations subjectives ?
Je propose ici quelques pistes nées d’une longue observation et réflexion.
Ce que j’appelle ici « anormalité » doit être entendu au sens que lui confère Swami Prajnanpad. Ce terme n’implique aucun jugement ou rejet qui seraient eux mêmes des manifestations d’ « anormalité ». Il s’agit en quelque sorte d’un terme technique, comme lorsque l’on dit d’une personne en mauvaise santé qu’elle est malade ou « souffrante » .
Se sentir « en place", comme si tout en notre personne était désormais à peu près en ordre.
En place et à sa place.
Ce sentiment pourra être favorisé par l’âge et la maturité, étant bien entendu qu’il ne suffit pas d’avancer en années pour se sentir en place et à sa place.
Un enfant ou un jeune non perturbé (cas de figure certes bien rares) pourraient aussi connaitre ce sentiment.
Se sentir perpétuellement ailleurs qu’à sa place, notamment passé un certain âge, constitué un symptôme d’ « anormalité »;
Eprouver une intensité de vie, oui, mais pas ou très peu de tendance à l’excès en quelque domaine que ce soit.
Une capacité à user de tout mais n’abuser de rien.
Toute propension à l’excès (ne pas confondre excès et aptitude à « se lâcher » aux moments et dans un contexte approprié) est un signe d’ « anormalité ».
Une totale absence de rigidité coïncidant avec une grande rigueur.
Par conséquent, une éthique (ne pas confondre avec morale) en même temps que une vive souplesse, une capacité d’adaptation sur tous les plans, aussi bien en matière alimentaire que pour tout ce qui touche au mode de vie et comportements.
Toute rigidité dans quelque domaine que ce soit est un symptôme d’anormalité.
Une radicale absence de principes (ne pas confondre avec absence d’éthique )
Une profonde indifférence aux idéaux, quels qu’ils soient (ne pas confondre avec des points de visée inspirants).
Des valeurs, oui, mais intégrées et ne relevant pas de l’idéologie, des croyances, de la religion.
De ce fait une absence d’opinions, sinon totale, du moins d’opinions arrêtées et inamovibles auxquelles s’identifier.
De ce fait une imperméabilité à tous les nationalismes, régionalismes, corporatismes ,(ce qui n’exclue en rien de se sentir en tant qu’humain lié mais non identifié à une nation, une région, une corporation,) aux discours identitaires , quelqu’ils soient et d’où qu’ils viennent.
Toute pulsion prosélyte en quelque domaine que ce soit, toute mise en avant revendicatrice d’une identité, toute propension à brandir une morale, à défendre bec et ongles un « camp » , tout extrémisme, religieux, politique, artistique, ou autre, constituent des symptômes d’« anormalité ».
Une liberté intime vis à vis de tous les cadres, contextes, institutions y compris spirituelles, cette liberté se traduisant paradoxalement par une aptitude à respecter et se conformer à tous les cadres, contextes et institutions y compris spirituelles, dès lors que cela s’avère nécessaire et juste.
Toute identification à une institution , tout comme le rejet de principe du moindre cadre institutionnel, constituent des symptômes d’« anormalité »
Une capacité prononcée à la remise en cause coïncidant paradoxalement avec une profonde confiance en soi (ne pas confondre avec prétention ).
Une personne « normale » est toujours disposée à s’expliquer si nécessaire mais ne se justifie jamais. Pas plus qu’elle n’alimente et ne participe à de pseudo débats et autres caricatures de discussions (sur les réseaux sociaux, en particulier, comme dans le quotidien en général)
Toute inaptitude à se remettre en cause constitue un symptôme d’ « anormalité ». Toute propension à vainement « débattre » et à confronter stérilement des opinions sans que quiconque soit prêt à la moindre remise en cause constitue un symptôme d’« anormalité »
Une aptitude aussi bien à la relation qu’à la solitude, à la convivialité qu’à l’isolement.
Toute inaptitude à la solitude aussi bien que toute forme de misanthropie constituent des symptômes d’ « anormalité »
Une aptitude à être heureux, à pleinement goûter ce qui nous est donné ;
à ne pas se rendre malheureux par le jeu des comparaisons, pensées, émotions justifiées et donc alimentées…
Ne pas se réjouir chaque jour de ce qui nous est donné constitue un symptôme d’ « anormalité »
Une créativité naturelle, la créativité ne se limitant pas aux domaines artistiques.
Toute inaptitude à innover , à raisonner en dehors de la boîte, constitue un symptôme d’ « anormalité »
Une aptitude à tranquillement mener quantité de choses de front.
Tout débordement persistant, qui plus est chronique, est un symptôme d’anormalité.
Une relative tranquillité.
Toute agitation persistante constitue un symptôme d’ « anormalité »
Etre fiable.
Pouvoir compter sur soi même et savoir que les autres peuvent compter sur vous.
De ce fait être constant. Un personnage ne chasse plus l’autre.
De ce fait, être responsable : en capacité à répondre de manière juste à ce qui est demandé.
Toute non fiabilité chronique, toute inaptitude à tenir sa parole, à faire même des choses simples auxquelles on s’est engagé ou qui nous sont objectivement demandées, constituent des symptômes d’ « anormalité
Etre naturellement et a priori ouvert : une ouverture naturelle à l’autre, aux autres, avec de temps en temps là aussi la nécessité de reprendre les commandes.
Par la même une forme de générosité procédant d’un ressenti de non séparation au sein de la différence.
Trouver sincèrement sa joie en celle de l’autre.
Une aptitude à la compassion, ou tout du moins à un certain degré de cette qualité sacrée.
Toute fermeture, toute attitude méprisante ou négligente de l’autre, quel qu’il soit, tout jugement auquel on s’identifie, constituent des symptômes d’anormalité
Un souci continu de l’essentiel.
Une aptitude à spontanément discerner l’essentiel de l’accessoire, l’anecdote du principe .
Toute indifférence prolongée aux enjeux essentiels de la condition humaine constitue un symptôme d’ « anormalité ».
Une capacité à distinguer le vrai du faux.
Une acuité d’évaluation - dépourvue de jugement.
Un œil acéré permettant, sans rejet, de détecter les postures, les faux semblants, les attitudes, les prétentions, tout ce qui n’est pas « en place » et ajusté.
Et du « bon sens », beaucoup de bon sens, c’est à dire un sens de ce qui est objectivement juste, sain, en place, et de ce qui ne l’est pas dans l’instant , encore et toujours en toute liberté vis à vis des opinions, critères et normes en vigueur.
De ce fait une méfiance (non rejetante) instinctive vis à vis de tout ce qui peut relever du simplisme, des amalgames , des raccourcis.
Une personne normale est naturellement peu réceptive aux discours réducteurs, aux théories fumeuses et, en matière spirituelle, aux revendications et proclamations « d’éveil ».
Une personne normale est essentiellement simple mais jamais simpliste, toujours attentive à la complexité et ne cherche en rien à nier cette dernière.
Toute attirance pour les théories simplistes, les idéologies réductrices, les raccourcis et autres constituent des symptômes d’ « anormalité ».
Enfin, plus une personne est normale, moins il lui viendra à l’idée de s’attribuer quoi que ce soit, y compris sa "normalité"
Gilles Farcet
---------------
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire