De l’ordinaire « corps que l’on a » à l’extraordinaire «
corps que l’on est ».
« L’exercice du matin, Zazen, n’est qu’un modèle pour vivre
sa vie quotidienne d’une autre manière. Grâce à l’attitude méditative, nous
passons de la rencontre de l’ordinaire avec la rencontre de l’extraordinaire.
Nous ne sommes pas assis, une heure chaque matin, pour trouver un silence ou,
comme beaucoup l’espèrent, acquérir des facultés supérieures.
Il s’agit de se préparer à un état d’être dans lequel vous
préservez le contact avec l’essentiel. Pas seulement dans un exercice de
méditation mais dans toute action ». K.G. Durckheim
Que signifient ces termes « ordinaire » et « extraordinaire » ?
L’ordinaire, c’est notre manière habituelle de voir les choses, de tout vivre sur le plan de la pensée, du raisonnement et de l’efficacité existentielle. N’importe alors que le bon fonctionnement du corps, qui se doit d’être maintenu en bonne santé, à notre service et à notre disposition comme le serait un outil performant.
C’est ce que K.G. Durckheim appelle le corps que l’on a, qui
« se réfère à la santé, au rendement et au bon fonctionnement existentiel. »
Le corps, vu comme une simple machine, forcément inférieur à
l’esprit, est alors au service des lois du mental humain et ne sert qu’une
vision rationnelle du monde :
« Si je pratique Zazen régulièrement, il doit se passer ceci
… je dois respirer de cette manière … dans 6 mois, j’aurai dépassé cette difficulté
… dans 2 ans je serais plus calme…»
« Moi, je pense qu’il est bon de m’améliorer, de maitriser
mes pensées, mes émotions, mon sommeil, ma santé … pour une meilleure
efficacité dans mon travail, mes relations, ma vie profane et spirituelle.»
Une manière « ordinaire » de pratiquer la méditation serait
de rester dans cette vision du corps objet, et de ne voir l’exercice sur le
chemin qu’en termes de buts à atteindre, de contrôle, ou d’amélioration des
performances.
Pratiquant ainsi, je ne cherche qu’à faire entrer l’exercice
dans mon entendement, sans remettre en cause la conscience ordinaire ; je me
maintiens sous la dépendance du moi existentiel (petit moi, moi profane, moi
fixateur … autres noms pour désigner cette conscience égocentrée), ce qui m’empêche
de goûter le contact avec l’Essence, l’Être, ma vraie nature, que je suis
depuis toujours.
L’exercice n’est alors qu’un moyen de prolonger ma vision
des choses dans une attitude considérée comme spirituelle, mais ne fait
qu’affirmer la mainmise du mental, de l’égo sur ma pratique.
« Le moi devient fatal à l’homme qui s’identifie
définitivement et exclusivement avec ses positions, et en particulier avec sa
conception de la réalité : l’homme est alors arrêté sur un certain échelon de
la connaissance … La détresse spirituelle de l’homme vient de ce que, à une certaine
étape de son développement, son être véritable est obnubilé par sa conscience
objective… Essayons d’avoir le courage d’oublier toutes nos théories pour
prendre au sérieux ce que nous vivons, ce que nous sentons, dans l’instant.»
K.G. Durckheim
Alors, comment retrouver, entrainer, préserver ce lien à
l’essentiel et rencontrer cet extraordinaire dont parle Durckheim ?
En remettant en cause cette manière de tout aborder, de tout
vivre, sous la seule vision de la conscience ordinaire qui fait de tout ce
qu’elle rencontre un objet. Retrouver ce lien à l’essentiel, c’est avant tout
passer de cette vision du « corps que l’on a », au geste vivant du « corps que
l’on est ».
Le corps n’est pas quelque chose, mais exprime un geste de la vie.
Le corps est la forme par laquelle se révèle, s’épanouit le
geste vivant que nous sommes.
Le corps est la forme par laquelle notre sentiment
d’appartenance à la Vie donne sens à notre existence.
Le « corps que l’on est » sert les lois du vivant et n’est
plus cet objet aux ordres du mental.
Ce flux de transformation incessant que sont les lois du vivant (interdépendance, changement, différence, impermanence …) redeviennent conscientes lorsque nous retrouvons le contact avec notre centre vital, appelé Hara dans la pratique traditionnelle japonaise des exercices sur la voie du Zen.
Une attitude centrée en Hara nous libère d’une position
corporelle focalisée exclusivement dans le haut du corps : attitude souvent
crispée, tendue, liée au volontarisme, aux trois prisons du mental : toujours
plus d’avoir, plus de savoir, plus de pouvoir.
Retrouver, développer Hara, c’est le retour à un centre de
gravité naturel, centré dans le bassin, le bas ventre, qui nourrit une forme
plus juste, une tenue plus juste, une respiration plus juste ; une manière
d’être plus juste et plus simple, parce que naturelle, en lien avec les lois du
vivant, tout comme le bébé l’est par nature.
Pour retrouver ce lien à « l’océan de vie » que nous sommes,
il est nécessaire de se mettre en chemin en pratiquant, en reprenant un
exercice spirituel non mental qui nous réoriente vers la conscience sensorielle
du corps vivant.
C’est le sens de tous les exercices pratiqués, repris,
répétés chaque jour sur la Voie de l’action qu’est le zen : la chance de
découvrir une action libérée des contraintes égocentrées imposées au « corps
que l’on a ».
« Le corps que l’on est » n’est pas quelque chose à obtenir,
maintenir, mais un geste qui nous relie au flux incessant de la vie « dans son
perpétuel mouvement de régénération et dans sa poussée de transformation
créatrice.» K.G.D
La pleine attention au corps en acte, au Geste, est ce lien
sacré à l’extraordinaire.
Les citations sont extraites de “L’expérience de la transcendance” et de “Pratique de la Voie intérieure – le quotidien comme exercice” de Karlfried Graf Durckheim
(Joël participe à l’animation des Retraites avec Jacques Castermane du 15 au 19 novembre et du 7 au 10 décembre.)
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