Si vous en doutez, arrêtez de respirer. Mais vous observerez que ce n'est pas aussi facile qu'on l'imagine. Parce que nous sommes obligés de respirer, d'instant en instant, jour et nuit. Lorsque j'ai rencontré Graf Dürckheim, en 1967, ma spécialité en tant que kinésithérapeute était : les exercices respiratoires ; il y en a des dizaines, chaque exercice avait un but thérapeutique précis.
Dès le premier Zazen j'ai engagé ce qui me semblait être un exercice respiratoire adéquat. Lorsque Graf Dürckheim a perçu cette combine orchestrée par le mental, il m'a invité à faire ce qui suit : " Jacques, attentivement, inspirez lentement et à fond, puis expirez attentivement, lentement et à fond ... STOP ! ne respirez plus, engagez toute votre volonté pour ne plus respirer, sans tricher, sans laisser un petit peu d'air s'infiltrer discrètement dans vos poumons. Résistez ! Encore ! Encore ! "
Jusqu'au moment où une force intérieure d'une puissance étonnante a débordé toutes mes résistances et libéré cette intention innée du tout corps vivant dans sa globalité et son unité ... l'acte d'inspirer.
"Voilà ! Vous venez de faire l'expérience de cette force qu'on est (1). L'acte de respirer n'est pas du ressort du Moi qui – fait - mille et une choses parmi lesquelles des exercices respiratoires. La respiration n'est pas quelque chose ; l'acte de respirer c'est la vie en acte.
Au cours de la première année de mon séjour au Japon, je pratiquais régulièrement l'exercice appelé ZAZEN à côté d'un vieux moine Zen. Intrigué, je lui demande ce qu'il fait au cours de cet exercice qu'il pratique depuis plus d'un demi-siècle ? En souriant il me dit : — C'est difficile ... Je fais de mon mieux pour ne pas entraver le souffle et le laisser aller et venir comme il veut et c'est vraiment curieux, lorsque j'y arrive, tout en moi se calme ! ".
"Quand vous êtes en colère ou triste, quand vous riez, observez bien votre respiration. Elle est le miroir de votre état d'esprit." (Hirano Rôshi)
Lorsque vous êtes agité, inquiet, observez votre manière de respirer ! S'imaginer qu'en pratiquant un exercice respiratoire inventé par l'homme il devrait être possible de passer de l'agitation au calme est pure illusion. D'autant plus que cette qualité de notre vie intérieure appelée le calme n'est pas le contraire de ce que nous appelons l'agitation. Il est des jours où les vagues qui sont à la surface de l'océan sont calmes ; un autre jour les vagues sont agitées. Mais le calme dont il est question pour le maître Zen est celui que découvre le plongeur qui descend sous le niveau des vagues.
Zazen ? Assis, dans l'absolue immobilité, j'exerce la pleine attention au souffle qui de lui-même va et vient. Inspire ... expire ... inspire ... expire. Et Moi, je n'y suis pour rien. Petit à petit ou subitement, je perçois que c'est le corps dans sa globalité et son unité (Leib) qui est entrainé dans un rythme : tension ... détente ... tension ... détente. Ce faisant — sans rien faire — il arrive que je fasse l'expérience d'un grand calme, le calme toujours présent au plus profond de soi-même. Au 7ème Siècle, Hui-Neng, un maître réputé du 'Chan, résume son cheminement sur la Voie tracée par le Bouddha en disant : "Ma méthode est le calme et la sagesse. Là où est le calme est la sagesse ; là où est la sagesse est le calme".
Nous pouvons comprendre pourquoi, aujourd'hui, treize siècles plus tard, le mot MÉDITATION attire de plus en plus celles et ceux qui sont confrontés à l'approche du burn-out ou de la dépression.
" La méditation est la clé ?" À cette question qui lui est posée par un élève, le maître Zen Jinen San répond :
"C'est la raison de la méditation. Mais lorsqu'on dit — méditation — il serait plus juste de dire ZAZEN. Lorsqu'on dit — méditation —, c'est une pratique à travers le concept. Zazen est hors concept. On utilise la même position (za) pour zazen ou pour méditer, mais la manière de pratiquer est très différente si on médite ou si on pratique zazen".
C'est ce que Hirano Roshi n'a cessé de répéter au cours des sesshin qu'il a animées au Centre ; "Il y a mille et une manières de méditer mais il n'y a qu'une manière de pratiquer zazen. On ne pratique pas zazen avec le mental".
Zazen ? Faire rien ! Et, au cours de ce rien faire, la personne qui s'exerce découvre et libère les intentions infaisables engagées par notre propre essence.
Jacques Castermane
(1) Le Centre de l'Etre – K.G. Dürckheim - Ed Albin Michel - page 119 : deux forces
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