lundi 12 février 2018

Christophe André : “Se dépouiller permet de se rapprocher de l’essentiel“ (2)

Comment être attentif à soi sans être autocentré ?
Par beaucoup d’aspects, notre société a tendance à nous rendre trop narcissiques. Les messages diffusés incitent les personnes à s’occuper d’elles, à être centrées sur elles, à se comparer aux autres pour rester dans la course. Ils leur susurrent aussi qu’elles ont beaucoup d’importance, de droits, que tout leur est dû. Or plus on est centré sur soi, sur ce que l’on nous doit, au détriment de ce que nous devons aux autres, plus on est malheureux. Sauf que la vie intérieure, ce n’est pas ça. L’intérêt pour soi relève plutôt de l’autobienveillance. Quand je suis en échec, plutôt que de tomber dans la dévalorisation de moi-même et l’autocritique, je gagne à me traiter comme je -traiterais mon meilleur ami. Je ne vais pas lui dire qu’il est minable et qu’il doit renoncer, mais : « Tu es malheureux, prends soin de toi, restaure-toi, essaie de comprendre ce qu’il s’est passé… » Ce regard sur soi bienveillant et exigeant amène à la prise de conscience que tout seul on n’est rien. La grande illusion serait en effet d’attribuer nos réussites à notre unique personne. Le déficit de vie intérieure peut ainsi aboutir à des égarements, où l’on va soit se surévaluer et négliger les autres, soit s’épuiser dans un altruisme névrotique et ne pas assez s’écouter. La fréquentation régulière de soi permet en somme de savoir où l’on en est dans sa vie.
Quels sont les signaux d’alarme ?
La culpabilité, l’inconfort émotionnel, la tristesse latente… Soit je me plonge en dedans de moi et m’interroge en profondeur sur ces maux et ma conduite de vie, soit je fuis davantage à l’extérieur, en buvant davantage, en me noyant dans le travail, en m’engouffrant dans les cinémas, en m’occupant toujours plus des autres… Prendre soin de sa vie intérieure permet de se maintenir en bon état de marche et d’être assez lucide sur ce que nous sommes.
Pour les chrétiens, le carême peut être le moment de s’interroger sur leur manière de vivre et d’agir, en cohérence avec leur foi. 
Cette entrée dans le carême 
est-elle justement un moment propice ?
Je vois cette période de 40 jours comme l’occasion d’un réajustement de nos valeurs, de notre foi, de nos convictions, dont le quotidien nous éloigne régulièrement. Le carême est l’occasion de faire un bilan assez prolongé, de resserrer un peu les boulons, de faire le choix de certaines contraintes fécondes ou résolutions, sans aller jusqu’à la souffrance. Pour les chrétiens, cela peut être le moment de s’interroger sur leur manière de vivre et d’agir, en cohérence avec leur foi. De prendre conscience de leurs petites et grandes dépendances qui les détournent de choses plus fondamentales.
Justement, peut-on être chrétien 
et passer à côté de sa vie intérieure ?
Si on n’est pas attentif à la cultiver, on passe à côté d’une partie du trésor de la foi. Un chrétien peut avoir de bonnes règles de vie et appartenir à une communauté tout en négligeant une vie de prière personnelle, laquelle ne consiste pas seulement à répéter des formules consacrées. À mes yeux, la prière doit commencer par un acte de présence à soi : on se pose, on prend conscience de l’état dans lequel on se trouve. Le carême peut être l’occasion de prier différemment : pas seulement plus, mais mieux, en essayant de voir plus fortement en nous ce qui nous éloigne de nos idéaux, mais aussi en prenant conscience de toutes les grâces reçues. Donnons-nous le temps, à l’exemple des moines et des moniales, qui, avant ou après les offices, goûtent au recueillement et à l’oraison. Cet ajustement entre vie intérieure et rituels nous mènera à une rencontre plus sincère et dépouillée à Dieu.
Et vous, comment vivez-vous le carême ?
Cela ne fait pas longtemps que ces questions m’interpellent. Je suis un chrétien sur le tard. Né dans une famille laïcarde et communiste, je suis arrivé à la religion par mon épouse et sa famille. Depuis quelques années, je les interroge sur la façon dont ils vivent le carême et j’essaie de m’y appliquer, très simplement. Cette année, par exemple, je vais essayer de ne pas boire d’alcool. J’espère que je ne serai pas invité chez des copains trop insistants ! Parfois aussi, j’ai la flemme de donner de l’argent aux SDF, mon porte-monnaie est au fond de mon sac, je n’ai pas envie de m’arrêter car il pleut… Alors je me dis que, durant cette période, je pourrais chaque matin mettre des pièces dans ma poche pour ne pas me dérober. Pour le chrétien que je suis, qui n’est pas dans une prière quotidienne, le carême pourra être l’occasion de prier quelques minutes après mon temps de méditation quotidien, auquel je suis pour le coup assidu. Ces 40 jours sont l’occasion de rectifier le cap et d’être, années après années, je l’espère, bonifié par les carêmes successifs. C’est d’ailleurs la découverte de la méditation qui m’a rapproché de la prière et c’est le jeûne laïc que je pratique qui m’a amené à mieux comprendre le jeûne chrétien : au-delà de la privation, il nous faire prendre conscience de notre chance de pouvoir nous nourrir chaque jour, mais nous aide aussi à nous dépouiller pour nous rapprocher de l’essentiel.
Pour le chrétien que je suis, qui n’est pas dans une prière quotidienne, le carême pourra être l’occasion de prier quelques minutes après mon temps de méditation quotidien.

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