Comment être attentif à soi sans être autocentré ?
Par
beaucoup d’aspects, notre société a tendance à nous rendre trop
narcissiques. Les messages diffusés incitent les personnes à s’occuper
d’elles, à être centrées sur elles, à se comparer aux autres pour rester
dans la course. Ils leur susurrent aussi qu’elles ont beaucoup
d’importance, de droits, que tout leur est dû. Or plus on est centré sur
soi, sur ce que l’on nous doit, au détriment de ce que nous devons aux
autres, plus on est malheureux. Sauf que la vie intérieure, ce n’est pas
ça. L’intérêt pour soi relève plutôt de l’autobienveillance. Quand je
suis en échec, plutôt que de tomber dans la dévalorisation de moi-même
et l’autocritique, je gagne à me traiter comme je -traiterais mon
meilleur ami. Je ne vais pas lui dire qu’il est minable et qu’il doit
renoncer, mais : « Tu es malheureux, prends soin de toi, restaure-toi, essaie de comprendre ce qu’il s’est passé… » Ce
regard sur soi bienveillant et exigeant amène à la prise de conscience
que tout seul on n’est rien. La grande illusion serait en effet
d’attribuer nos réussites à notre unique personne. Le déficit de vie
intérieure peut ainsi aboutir à des égarements, où l’on va soit se
surévaluer et négliger les autres, soit s’épuiser dans un altruisme
névrotique et ne pas assez s’écouter. La fréquentation régulière de soi
permet en somme de savoir où l’on en est dans sa vie.
Quels sont les signaux d’alarme ?
La
culpabilité, l’inconfort émotionnel, la tristesse latente… Soit je me
plonge en dedans de moi et m’interroge en profondeur sur ces maux et ma
conduite de vie, soit je fuis davantage à l’extérieur, en buvant
davantage, en me noyant dans le travail, en m’engouffrant dans les
cinémas, en m’occupant toujours plus des autres… Prendre soin de sa vie
intérieure permet de se maintenir en bon état de marche et d’être assez
lucide sur ce que nous sommes.
Pour
les chrétiens, le carême peut être le moment de s’interroger sur leur
manière de vivre et d’agir, en cohérence avec leur foi.
Cette entrée dans le carême
est-elle justement un moment propice ?
Je
vois cette période de 40 jours comme l’occasion d’un réajustement de
nos valeurs, de notre foi, de nos convictions, dont le quotidien nous
éloigne régulièrement. Le carême est l’occasion de faire un bilan assez
prolongé, de resserrer un peu les boulons, de faire le choix de
certaines contraintes fécondes ou résolutions, sans aller jusqu’à la
souffrance. Pour les chrétiens, cela peut être le moment de s’interroger
sur leur manière de vivre et d’agir, en cohérence avec leur foi. De
prendre conscience de leurs petites et grandes dépendances qui les
détournent de choses plus fondamentales.
Justement, peut-on être chrétien
et passer à côté de sa vie intérieure ?
Si
on n’est pas attentif à la cultiver, on passe à côté d’une partie du
trésor de la foi. Un chrétien peut avoir de bonnes règles de vie et
appartenir à une communauté tout en négligeant une vie de prière
personnelle, laquelle ne consiste pas seulement à répéter des formules
consacrées. À mes yeux, la prière doit commencer par un acte de présence
à soi : on se pose, on prend conscience de l’état dans lequel on se
trouve. Le carême peut être l’occasion de prier différemment : pas
seulement plus, mais mieux, en essayant de voir plus fortement en nous
ce qui nous éloigne de nos idéaux, mais aussi en prenant conscience de
toutes les grâces reçues. Donnons-nous le temps, à l’exemple des moines
et des moniales, qui, avant ou après les offices, goûtent au
recueillement et à l’oraison. Cet ajustement entre vie intérieure et
rituels nous mènera à une rencontre plus sincère et dépouillée à Dieu.
Et vous, comment vivez-vous le carême ?
Cela
ne fait pas longtemps que ces questions m’interpellent. Je suis un
chrétien sur le tard. Né dans une famille laïcarde et communiste, je
suis arrivé à la religion par mon épouse et sa famille. Depuis quelques
années, je les interroge sur la façon dont ils vivent le carême et
j’essaie de m’y appliquer, très simplement. Cette année, par exemple, je
vais essayer de ne pas boire d’alcool. J’espère que je ne serai pas
invité chez des copains trop insistants ! Parfois aussi, j’ai la flemme
de donner de l’argent aux SDF, mon porte-monnaie est au fond de mon sac,
je n’ai pas envie de m’arrêter car il pleut… Alors je me dis que,
durant cette période, je pourrais chaque matin mettre des pièces dans ma
poche pour ne pas me dérober. Pour le chrétien que je suis, qui n’est
pas dans une prière quotidienne, le carême pourra être l’occasion de
prier quelques minutes après mon temps de méditation quotidien, auquel
je suis pour le coup assidu. Ces 40 jours sont l’occasion de rectifier
le cap et d’être, années après années, je l’espère, bonifié par les
carêmes successifs. C’est d’ailleurs la découverte de la méditation qui
m’a rapproché de la prière et c’est le jeûne laïc que je pratique qui
m’a amené à mieux comprendre le jeûne chrétien : au-delà de la
privation, il nous faire prendre conscience de notre chance de pouvoir
nous nourrir chaque jour, mais nous aide aussi à nous dépouiller pour
nous rapprocher de l’essentiel.
Pour
le chrétien que je suis, qui n’est pas dans une prière quotidienne, le
carême pourra être l’occasion de prier quelques minutes après mon temps
de méditation quotidien.
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