L’école du saule (par Cécile Bolly)
Il était une fois, il y a très longtemps, dans un pays très loin d'ici, un homme qui marchait. Il marchait parfois vite, parfois lentement, sous le soleil ou dans le vent. Il quittait la Chine, où il venait d'apprendre les arts martiaux, et rentrait chez lui. En chemin, il pensait à la technique qu'on lui avait enseignée. Il sentait qu’il y avait sans doute quelque chose à associer à cette technique ; quelque chose de plus intérieur, une réflexion philosophique, peut-être, ou un fondement spirituel. Quelle est, se demandait-il, la force qu’il faut opposer à la force pour la combattre ? Se retirant longuement dans un temple zen afin d'y méditer, il se promène un jour dans le grand jardin alors qu'il y neige abondamment. Son attention est subitement attirée par le bruit d’une branche de cerisier qui casse sous la neige malgré sa robustesse. Un peu plus loin, alors qu'il s'approche d’un saule, il voit la neige glisser silencieusement à terre et la branche pourtant fragile du saule se relever, indemne. À ce moment-là, son esprit s'éclaire, son âme s’éveille. Il comprend que ce n’est pas la force qu'il faut opposer à la force, mais bien la souplesse ; que ce n’est pas la lance qu’il faut opposer à la lance, mais bien la main vide et le cœur pacifié. Depuis lors, on attribue à ce médecin japonais, Shirobei Akiyama, la création de l'école du saule, Yoshin-ryu, qui a donné naissance au judo et au ju-jitsu. Cette école du saule, ou plus précisément cette école de l’esprit du saule, est ma préférée ! Que ce soit dans mon travail de médecin, dans celui de vannière ou à d’autres moments encore, je me sens avant tout dans la recherche du geste juste.
Le saule est un des arbres qui permet de faire de la vannerie. Les branches de saule une fois coupées deviennent des brins d’osier, que des mains tissent pour réaliser un panier. La beauté de celui-ci dépend de la qualité de chaque geste effectué, qui n’est pas seulement un geste technique, mais une trace de l’interdépendance entre différentes formes du vivant. Au moment de l’imaginer ou même de le créer, nul ne sait ce que ce panier pourra contenir. Dans mon travail de médecin et de psychothérapeute, la recherche du geste juste est tout aussi importante. Pour moi, elle se manifeste avant tout dans la qualité de l’écoute que je peux offrir à l’autre. Qu’est-ce qu’écouter, si ce n’est offrir un contenant, être contenant, afin que ce moment de rencontre puisse accompagner, relier, soutenir, contenir, protéger parfois.
Plus largement, quels que soient notre place, notre rôle, notre fonction, l’école de l’esprit du saule nous apprend donc la souplesse, la disponibilité, l’attention à tout être vivant. Elle nous rend ainsi capables de tisser des liens solides et porteurs de sens, des liens qui libèrent.
Extrait du livre "La puissance des liens" de Ilios Kotsou, Caroline Lesire, Christophe André, Abdennour Bidar, Fabienne Brugère, Rébecca Shankland, Matthieu Ricard
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