Dans la France contre les robots (1947)» essai visionnaire sur notre monde actuel, que je viens d’adapter au théâtre sous le titre du Paradis des robots, Georges Bernanos nous alerte face au risque de perdre notre vie intérieure dans une société envahie par les « machines »... Une société qui fait des « êtres non pas égaux, mais pareils ». Avec la prolifération des technologies, nous sommes devenus comme des toxicomanes. Or, « le drame du toxicomane ce n'est pas qu'il use d'un poison, c'est qu'il ait éprouvé le besoin d'en user pour fuir sa propre personnalité ». Après deux ans de pandémie et de restrictions, voici quelques pistes qui me sont apparues dans le texte de Bernanos pour vivre ce carême.
1 - RETROUVER SA PERSONNALITÉ
Qu’est-ce qui fait que je suis singulier ? Bernanos m'invite à retrouver mon désir profond, ce qui m'anime vraiment. Qu’est-ce qui me fait plaisir. me donne de la joie ? Comment retrouver ce que je suis, et que j’ai pu perdre de vue ? Ma mission propre ?
Après ces deux années difficiles, où nous avons subi toutes sortes de contraintes, je peux saisir l'occasion de ce carême pour me demander ce que je peux donner plutôt que de me priver. À cette fin, trouver en moi ce qui m'est propre, le développer. Car par définition, je suis le seul à pouvoir l'offrir !
2 - CULTIVER SES TALENTS
Il ne s’agit pas de narcissisme, mais plutôt de mettre mon talent au service des autres. Dans sa Première lettre aux Corinthiens (12,17), saint Paul dit : « Si tout le corps était œil, où serait l'ouïe ? S'il était tout ouïe, où serait l'odorat ? » Ainsi, chacun est un membre unique du corps du Christ. Si je ne joue plus ma partition propre, c’est tout le corps qui est entravé dans sa marche et qui en pâtit. Concrètement, je peux reconnaître mes qualités, sans jouer aux faux modestes. Et si cela s’avère trop difficile, demander de l’aide à mes proches et amis bienveillants. Je mets ensuite mes dons en pratique dans une situation concrète. Si l’on me dit, par exemple, que j’ai un beau sourire et qu’il donne de la joie, j’en profite pour l’offrir à mes voisins, à la personne SDF en bas de chez moi, à celles que je croise, jusque dans le métro...
3 - FAIRE LE VIDE EN SOI-MÊME
Après deux ans de confinement et de vie entre parenthèses, on pourrait avoir envie de faire plein de choses. Chercher à rattraper le temps perdu par une activité débordante, rentabiliser son temps. Bernanos propose plutôt la figure de « l’homme qui a du temps à perdre ». Pourquoi ne pas accepter de perdre, d’avoir des trous dans mon agenda ? D’être vide, pour mieux recevoir, me laisser remplir, non plus par des dérivatifs, mais par Celui qui donne la vie, la paix, la joie ?
Il ne s’agit même pas de prier, mais de se laisser faire plutôt que de faire. De se laisser travailler par la providence. Si je ne me confronte pas à ce vide, ce « vacant », je ne me mets pas face à ma misère. En cultivant ce temps de « rien », j’ai accès à ma vie intérieure, même pauvre, et je suis en contact avec mon moi, en vérité, et donc avec Dieu. Si ma pensée divague, ce n’est pas grave : au moins, elle est en mouvement et pas atrophiée par les écrans ! Et quand bien même elle serait pauvre, négative, laide... Au moins j’y ai accès.
On dit qu’il faut que l’enfant s’ennuie pour que son imagination soit plus créative. Et l’adulte ? Je retrouve ma dimension créative en acceptant de lâcher. Je sors ainsi de cette mentalité d’une « vie tout entière orientée par la notion de rendement, d’efficacité, de profit où l’homme est devenu lui-même un outil, où le rythme de la vie ne se mesure plus au battement de son cœur, mais à la rotation vertigineuse des turbines qui s'accélèrent sans cesse » (Bernanos).
4 - RENOUER AVEC LE CHEMIN DU RÉEL ET DE LA RELATION
Je peux faire un jeûne de Facebook, de Netflix, des séries, d’Instagram, de WhatsApp, de l’ordinateur (qu’on a allègrement utilisé ces deux dernières années !). Ces technologies me divertissent : elles me détournent de mon chemin, de ma vocation. L’écran fait écran à ce que je suis profondément, et comble ma difficulté à être face à ma pauvreté. Je remets donc ces « machines » à leur juste place.
Ces moyens peuvent m’aider à surmonter la vie et ses épreuves, mais si l’usage de ces technologies a pour conséquence de m’éloigner de ce pour quoi je suis fait, de m’extraire de ma mission, attention danger ! Pourquoi ne pas retrouver le chemin du bon vieux téléphone pour appeler ses amis, pas vus (ni entendus) depuis deux ans ou plus, et leur dire à quel point ils vous ont manqué ?
Michel-Olivier Michel
Comédien et metteur en scène, il enseigne l'art dramatique depuis 20 ans. Fondateur en 2011 des ateliers philo-théâtre, diplômé en théologie, il a mis en scène de nombreuses pièces, dont certaines ont une portée spirituelle.
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1 commentaire:
Merci de citer Bernanos. D'autres anticipateurs de nos addictions actuelles : Charles Péguy, Paul Valéry...
Mais merci aussi à la technologie quand elle permet de si belles rencontres en vrai temps partagé par voix (téléphone) et visages (visio-conférence), dans une respiration qui devient commune, juste là, silencieuse.
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