vendredi 18 octobre 2024

Le rejet

 La douleur causée par le rejet appartient au patrimoine émotionnel de l’humanité, quelles que soient l’époque et la culture. Les enfants le ressentent avec une force exponentielle lorsqu’il émane d’un des parents. Qu’est-il de pire que se trouver en butte à l’hostilité de la personne dont on attend amour et protection ? Comme ce besoin est vital pour l’enfant, pendant longtemps il ne peut que se tourner vers son parent en attendant du positif. Chaque manifestation agressive l’atteint en plein cœur, occasionnant une douleur terrible. Il ne sait pas s’en défendre. Quand on reçoit l’exact opposé de ce qu’on attend, c’est insupportable. De là, on peut comprendre la véhémence de la réaction allergique - « Comment peux-tu me faire ça, moi qui t’aime tant et qui ai tant besoin de toi ! »

La personne immunodéprimée, comme nous l’avons vu précédemment, vivra le rejet en se repliant, se mettant d’elle-même à l'écart, aussitôt qu’elle aura l’impression qu’on ne veut pas d’elle.


Pour l'allergique au rejet, tout signe quelle interprétera dans ce sens aura l’effet immédiat d’une brûlure au fer rouge. Une simple neutralité témoignée par les autres, une vague indifférence, un peu de distance, l’attention portée ailleurs sont instantanément traduits en preuves négatives : « On ne m’aime pas, on ne veut pas de moi. » En fait, il veut un amour absolu, inconditionnel, sans la moindre réserve. Seule l’expression très marquée de chaleur, d’acceptation parvient à ne pas déclencher le cataclysme - encore faut-il quelle soit manifestée d’emblée, sinon la mécanique infernale s’enclenche. Quelle forme prend celle-ci ?

Aussitôt que, dans une relation, Urtic a franchi ce seuil de déclenchement, la violence du ressenti engendre une agressivité qu’il ne peut contenir. Il fait pleuvoir reproches et récriminations, il devient inquisiteur. Il cherche à prouver à l’autre son rejet, il l’en accuse. Devant cette offensive soudaine et déconcertante, l’autre se défend comme il peut, jure ses grands dieu qu’il n’éprouve rien de négatif. Peine perdue, Urtic n’en croît rien et s’acharne à lui démontrer le contraire. Son entêtement finit par lasser son interlocuteur qui commence à s’agacer de ce procès d’intention. Si ce dernier a le malheur de l’exprimer, notre allergique triomphe : la preuve du rejet, la voilà il le savait bien ! Le piège se referme, Urtic n’en démordra plus. Il ne peut s’empêcher de réagir comme il le fait, cela le dépasse. Quoi que l’autre dise ou fasse, il aura « faux » et sera réduit à l’impuissance. La rancœur d’Urtic s’autojustifie par des interprétations qui deviennent aussitôt des certitudes. Il se raidit dans des jugements hâtifs et irrévocables.

Mettre en cause cette mécanique de guerre demande de revenir à soi, chose difficile quand l’attention se focalise sur l’autre et qu’elle lui attribue la responsabilité du scénario négatif. Vouloir montrer sa projection du rejet à Urtic risquerait fort de tourner à une argumentation inefficace. Il a besoin d’explorer les origines de sa réaction dans son histoire pour identifier la relation primaire où elle prend sa source. Constater le poids du passé, comprendre l’intensité de la douleur de l’enfant confronté à un parent hostile installe progressivement une profondeur de champ, alors qu’Urtic était pris dans l’urgence de l’immédiateté, sans recul possible. Sa projection lui devient perceptible et il entraperçoit qu’au présent l’autre n’est pas concerné comme il en était persuadé. Il a besoin de contacter en lui-même tout le ressentiment qu’il a accumulé envers le parent rejetant. Cette émotion manifeste en image inversée sa demande d’amour qu’il réclame encore maintenant. Prendre conscience du caractère impérieux de son exigence dans les relations, reconnaître que cela lui appartient et que son entourage ne peut combler son manque représente un cheminement important qui prend du temps. Le travail thérapeutique joue un rôle essentiel pour ne pas répéter indéfiniment ces scènes affligeantes. Vivre une relation de soutien, d’accueil, d’empathie avec le thérapeute contribue également à désensibiliser la réaction allergique.

Dans certains cas, le triomphe de vérifier le scénario de rejet tourne à la défaite amère. Le sentiment de solitude revient en boomerang et, avec lui, le désespoir de faire le vide autour de soi. Au fond de lui, Urtic soupçonne que ses réactions éloignent les autres. La forte charge émotionnelle qui l’emporte l’aveugle. Il croit défendre farouchement son intérêt alors qu’il le ruine par son intolérance. Quand l’allergie devient à ce point destructrice à son propre détriment, elle se rapproche du trouble auto-immun. Si Urtic prend conscience du saccage créé par son agressivité, celle-ci se retourne contre lui-même et il peut s’en vouloir jusqu’à se haïr.

Christophe Massin

Savoir se défendre - L'immunité psychique

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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci beaucoup pour cet extrait mis en relief qui tombe à pic pour moi.