Gilles Farcet
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Le travail sur les pensées commence par vérifier leur véracité en les confrontant à la réalité. L'existence peut-elle être autrement ?...
« Chaque vision claire d’un comportement mécanique est un appel à pratiquer. Nous proclamons vertueusement les grands principes de justice et de vérité, et pourtant, à la moindre révélation de nos illusions psychologiques et personnelles, de nos mensonges et de nos échecs, nous n’intervenons pas. C’est la première montagne qu’il nous faut gravir pour atteindre le sommet du potentiel humain et de la conscience éveillée. Si nous tentons d’éviter cette ascension, peu importe combien de « cris et de fureurs » nous agiterons, nous ne franchirons pas, nous ne pourrons pas franchir les limites d’une existence identifiée aux rêves et que nous croyons être l’état d’éveil. »
Extrait de « Juste ceci », à paraître mi-octobre. 365 courts enseignements de Lee Lozowick
(Hohm Press - tirage limité dans un premier temps.)
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à suivre
toujours
à suivre
pas de mot « fin »
à peine le rideau s’abaisse-il
qu’il se lève sur une autre pièce
toute fin est un commencement
tout commencement procède d’une fin
alors à suivre
toujours à suivre
Gilles Farcet
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Si une femme pianiste virtuose et mère perd son enfant, la mère est brisée mais pas la pianiste. On peut même imaginer que sa souffrance de mère, si elle arrive à la surmonter, puisse enrichir sa sensibilité pour interpréter certaines œuvres. Mais un accident aux mains, même léger, et la pianiste est détruite. Elle peut encore jouer une petite mélodie pour apprendre des chansons à ses enfants mais la virtuose a été tuée. Tous ces aspects de nous-mêmes pour lesquels nous nous prenons sont destructibles – tous ne seront pas détruits mais la plupart le seront par le vieillissement : on n’a plus les mêmes performances physiques, la même mémoire, le même magnétisme sexuel.
Réfléchissez à cette idée. J’ai des enfants, donc c’est moi en tant que père qui suis plus ou moins comblé, déçu ou détruit. Mes enfants sont charmants et bons élèves, je suis un père heureux. Un de mes fils tombe sous la coupe d’une bande de jeunes révoltés et il en arrive au petit banditisme : je suis détruit en tant que père heureux. J’étais et je ne suis plus.
Si nous remplaçons la peur de mourir par la peur d’être détruit dans un aspect ou un autre de ce à quoi nous nous identifions et qui est changeant, nous comprenons que la voie spirituelle, c’est la recherche de l’Indestructible en nous, ce que le Bouddha avait appelé le Non-Né, ce que l’Évangile appelle le Royaume des Cieux ou le Royaume de Dieu, ce que le vedanta appelle l’atman. Il s’agit d’une recherche menée en soi-même. Ceci est destructible, cela est destructible. Le reconnaître n’est pas pessimiste mais réaliste. La beauté est fragile : un accident au visage que la chirurgie esthétique ne peut pas complètement réparer et une actrice n’est plus une star. Ayez le courage de reconnaître : « En quoi suis-je destructible – ou, plutôt, quels aspects de “moi” le sont-ils ? » Croyez-le ou non, pour certains hommes, la destruction de leurs cheveux par la calvitie est une souffrance cruelle ! Qu’est-ce qui est détruit ? L’homme qui avait une belle chevelure. »
(Arnaud Desjardins, «La paix toujours présente», chap. 3)
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Ilios Kotsou : « La famille est le premier lieu de la sécurité, de la socialisation »
[Interview] Joies inouïes, nuages, tragédies : nos vies familiales ne sont pas exemptes de hauts et de bas, parfois même de ruptures. Mais qu’il soit conjugal, parental ou fraternel, l’amour peut durer… À quelques conditions. Entretien avec Ilios Kotsou, chercheur et docteur en psychologie.
La famille est le premier lieu de la sécurité, de la socialisation. À la différence des animaux qui se débrouillent très vite après leur naissance, les bébés humains ont besoin de soins pendant plusieurs années avant de marcher, se nourrir, communiquer… Ils ne pourraient survivre seuls. Paradoxalement, plus l’enfant évolue dans un environnement sécurisant, qui lui donne une sécurité affective, plus il est enclin à découvrir le monde. Un attachement défaillant entraîne une difficulté à accorder sa confiance et peut se révéler dans les relations futures. Mais le neuropsychiatre Boris Cyrulnik a aussi montré notre capacité de résilience : des tuteurs (une voisine, un professeur…) peuvent fournir des liens significatifs nécessaires à la construction de soi. Il faut tout un village pour élever un enfant, comme le souligne le proverbe africain.
Nous devons apprendre à vivre avec nos désaccords, nos différences, nos blessures, notre vulnérabilité. Le sociologue et philosophe Theodor Adorno a avancé un critère à l’amour vrai : « Tu n’es aimé que lorsque tu peux te montrer faible sans provoquer une réaction de force. » Aimer, c’est choisir de ne pas prendre l’avantage sur l’autre, alors que je pourrais le faire. Cette relation ajustée se cultive dès le plus jeune âge. La famille est aussi un groupe dynamique, qui doit s’ajuster lorsque les enfants grandissent, quittent le nid, fondent à leur tour une famille… Un lien, même familial, se nourrit et s’entretient. L’amour est un agir : on ne peut être seulement passif, ne faire que recevoir. C’est comme du pain que l’on peut offrir et que l’on doit refaire chaque jour. L’amour est renouvelable à l’infini, illimité, mais son existence dépend aussi de nous, de nos efforts, de nos actions.
L’individualisme a créé une société concurrentielle, où chacun est en compétition, avec des gagnants et des perdants. L’autre est donc perçu comme une menace. Ce sentiment de survie entraîne des mécanismes de défense : on se rigidifie, on se replie sur un entre-soi, on juge, on attaque, on rejette… Notre monde est ainsi de plus en plus polarisé, phénomène exacerbé par les réseaux sociaux dont les algorithmes nourrissent nos propres opinions. Or une bonne santé psychologique et sociale suppose une capacité à changer de perspective, à se décentrer, à prendre l’autre en considération.
La professeure de psychologie Barbara Fredrickson définit l’amour comme l’émotion suprême, qui fait entrer en résonance avec d’autres personnes. Il n’y a rien de plus terrible que d’en être coupé. Nous ne pouvons vivre sans relations, ni sans autonomie, c’est un équilibre à construire et deux types de liens à tisser. Nous sommes des animaux sociaux : nous n’existons qu’à travers les autres. Les humains ont prospéré grâce à leur capacité de coopération, d’entraide, du soin donné aux plus vulnérables, aux malades, aux moins valides. C’est d’ailleurs la caractéristique de l’humanité. Nous sommes des êtres de liens, toute notre vie est lien – amical, amoureux, professionnel, etc. L’amour romantique a beaucoup mis l’accent sur le couple. Peut-être redécouvrons aujourd’hui la valeur de l’amitié, de ces relations choisies, plus vastes que les liens du sang.
Changer de perspective : l’autre est une fin et non un moyen. « Il n’y a pas d’amour heureux, ni de bonheur sans amour », prévient le philosophe André Comte-Sponville. Si l’amour éros passe, le bonheur consiste à accéder à une autre dimension, celle de l’amour philia, l’amour de réjouissance, qui vise le bien de l’autre : je suis heureux parce que tu existes, et non parce que je te possède. Cet amour inconditionnel que l’on ressent facilement à l’égard de son enfant est à vivre dans un couple, avec des amis, des étrangers… Pour dire « je t’aime », l’italien a une magnifique expression : « Ti voglio bene », c’est-à-dire littéralement « je te veux du bien ». Tout est dit !
Nos repères ont changé, parfois explosé, tout va plus vite. Ces bouleversements demandent d’acquérir des compétences : comment passer d’un état à l’autre, dire au revoir, tourner une page, accepter une reconfiguration. Nous manquons de rituels, dont la fonction consiste précisément à soutenir les transitions, même douloureuses. Dans l’épreuve, quelle qu’elle soit, veiller à être connecté à ses émotions et fidèle à ses valeurs permet de faire face à ce qui est de manière ajustée, sans esquiver, ni entrer en guerre. Paradoxalement, rester dans l’amour aide : rendre hommage, honneur à ce qui a été, ne pas chercher à se venger même si on est blessé. Parfois, certaines relations se rompent. Le lien continue pourtant d’exister, même s’il n’est pas de même nature ni de même intensité, simplement parce que notre humanité nous relie.
Tout s’apprend, à commencer par l’autocompassion : quand je ne me sens pas à la hauteur, si je souffre, j’essaie d’accueillir ma fragilité, mon besoin, de poser un regard doux envers moi-même. Peu à peu, j’adopterai cette même attitude à l’égard des autres, même ceux qui ont pu me faire du tort. La tradition bouddhiste invite à l’amour bienveillant, la compassion, la joie empathique et l’équanimité, c’est-à-dire d’étendre à tous les êtres sensibles cet état d’esprit. Nous avons en nous un formidable potentiel d’amour, capable de s’élargir à notre prochain, au monde entier. Jésus est l’archétype de cet amour universel. Chacun peut devenir mon frère, chacune peut devenir ma sœur, vraiment ! Ainsi naîtra une société plus solidaire, où tout le monde peut vivre.
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Une longue interview de Gilles Farcet qui partage son expérience
de l'enseignement reçu d'Arnaud Desjardins.
C'est souvent ce que je partage aux personnes que je reçois. Mettre du Yin avant le Yang. Accueillir avant d'agir...
Dans ce processus, le corps donne la perception de la limite, c’est en lui quelle se trouve. Pour le maraîcher qui bine ses plates-bandes, son dos l’avertit qu’il a son compte ; mais pour un col blanc dont le cerveau accapare toute l’attention, l’oubli complet du corps dans des tâches purement intellectuelles le prive de ce garde-fou. Développer et cultiver la conscience corporelle dans le courant de l’activité participe à la restauration du sens de soi-même. C’en est un aspect essentiel."
Christophe Massin- Savoir se défendre L'immunité psychique
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Le mécanisme de nos habitudes est illustré ci-dessous.
Nous nous traitons nous-mêmes comme nous avons été traités : « Je n’accorderai pas plus de crédit à mes ressentis que mes parents ne l’ont fait. Je me nie si on m’a nié, m’abandonne si on m’a abandonné, me rejette si on m’a rejeté. » En prendre conscience sur le vif, dans la mouvance d’un moment relationnel ouvre l’accès à un ressenti plus profond de soi-même. « Quelle considération, quel respect ai-je pour moi ? Suis-je à mes côtés, solidaire, ou déjà prêt à vaciller, à renoncer, à plier ? »
Christophe Massin- Savoir se défendre L'immunité psychique
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Ce livre-témoignage raconte le parcours d'un journaliste indien de Gandhi à Svâmi Prajnânpad. Il retrace plus de 40ans d'enseignement de Svâmiji avec le même disciple.
« Aussi longtemps que l’on ne voit pas une situation particulière comme elle est en réalité, quelque chose d'autre va apparaître à sa place. Quand vous n’acceptez pas ce qui est actuellement ici, vous avez besoin de créer quelque chose d’autre... Où que vous soyez, vous êtes en contact direct avec votre environnement. Chaque fois que vous sentez que ce contact direct manque, le mental a commencé ses mauvais coups. ››
C’est en partant de l'expérience du disciple, de son ressenti, sans ajouter quoique ce soit d’autre, que Svâmi Prajnânpad avance pas à pas avec lui : « Pourquoi un tel choc ? Parce que vous avez cru que tout doit arriver selon vos désirs. Mais la vie existe dans les deux états de favorable et de défavorable : le plaisir et la peine, la bonne santé et la maladie, etc. Le positif et le négatif sont indissolublement liés. Vous avez reçu un choc, parce que votre esprit avait pris l’aspect positif comme la seule vérité et n’était pas préparé à recevoir l’aspect négatif. C’est inévitable quand on vit dans le mensonge. Il n’y a alors que faiblesse, absence de joie et agitation. ››
En ayant l’esprit préparé aux deux aspects de la vie, on développe force, joie et paix. La joie est l'essence de la vie. Une vie sans joie n'est pas une vie pour un être humain. Une vie humaine se reconnaît au flux d’énergie pure et spontanée qui apporte la béatitude. Se sentir à l’aise et léger est votre véritable nature. Sumangal Prakash a été d’abord disciple de Gandhi, il a lutté pour l’indépendance de son pays et fait de la prison. Gravement déprimé, il s'est souvenu avoir rencontré à l 'université de Bénarès en 1923 un étrange professeur que l’on disait versé dans la psychanalyse. Entre temps ce professeur était devenu Svâmi Prajnânpad. Profondément athée, Sumangal s'est néanmoins engagé auprès de cet homme d'exception. Il raconte ici son parcours qui l'a conduit au succès journalistique et littéraire et des fonctions politiques de haut niveau. Il est l'auteur de L’expérience de l'Unité.
"Maintenant essayez seulement de voir ce que le mental fabrique. Il recouvre du sens du “moi” - qui est particulier - tout ce qui se passe dans le monde dans le jeu éternel de manifestations infinies, et il le cache à la vue. Il place là une seule forme, un seul “je” et en recouvre les manifestations infiniment variées. Que fait le mental ? Il transforme ce qui est si large et si vaste en une entité rudimentaire et mesquine. C'est pourquoi vous ne pouvez voir rien d'autre que vous-même. Vous transportez toujours un “devrait” avec votre “je” : “cela devrait être comme ceci”, “il devrait agir ainsi", etc.
Et à une autre place : chaque position est ce qu'elle est. Quand vous dites “je suis petit” vous oubliez que vous êtes grand aussi. Petit n’a donc aucune entité. La petitesse implique un absolu. Mais ce n'est pas ainsi ; vous ne faites que comparer. Ce n’est que le mental qui compare, il ne vous permet pas de voir la réalité. Et l’attente seule est sa mesure ou son étalon. Pour celui qui possède cent, cinq cents est au-delà de ses espérances. Mais pour celui qui ne possède que dix, cent est le chiffre le plus élevé qu’il puisse imaginer. Quelle est alors la plus grande quantité ? 1 cent, ou un million de roupies ? Tout cela dépend en fait de la fantaisie du mental. Selon ce que le mental pense, il le croit. Tout dépend de son mental. Le mental ne fait que penser, jamais il ne voit. »
« Ainsi, il y a toujours cette dualité, toujours une comparaison… Mais comment s'en sortir ? », demandais-je alors.
À une autre occasion encore Svãmiji dit : « Qui met l’obstacle sur votre chemin ? Le mental en réalité. Car le fait est que, où que vous soyez, vous êtes en contact direct avec votre environnement. Chaque fois que vous trouvez que ce contact direct manque, le mental a commencé ses mauvais coups. C’est de cette activité malfaisante dont on doit se rendre libre. ››
Svãmiji faisait une différence très claire entre penser et voir, les considérant comme opposés l'un à l’autre, le premier venant du mental et le second étant le moyen à travers lequel on devient un avec la réalité. « Pour aller plus profondément, pour savoir si on a vu ou si on n’a fait que penser à travers le mental, disait-il, il n'y a qu’un seul critère : Y a-t-il une quelconque émotion de quelque nature que ce soit ? Si c'est le cas, cela signifie que le mental a commencé son travail. Lorsqu’on voit, il n’y a aucune émotion.››
L’émotion comme le mental lui-même n’a pas d'entité qui lui soit propre. Elle est, comme Svâmiji l'a démontré avec tant de force, aussi illusoire que le mental. Pour le prouver, il en donna un exemple concret : « Maintenant qu’est-ce que ceci ? « Il cogne alors sur la petite table de bois à côté de lui, une ou deux fois avec son doigt. ›› Du bois ! Une émotion quelconque est-elle apparue ? Non. Mais s’il y a le moindre doute dans votre esprit sur le fait que c'est du bois, que cela pourrait être de l'acier, que se passe-t-il ? Celui qui sait que le bois n’est rien d’autre que du bois n'aura aucune émotion, il n’y aura pas d'exagération dans son affirmation, alors que quelqu'un d'autre argumentera que ce n'est pas du bois, mais de l’acier ou de l’or ou autre chose. Chaque fois qu’il y a une exagération, cela montre qu’il y a un refus caché derrière. Ce n’est que lorsqu’on a des doutes dans l’esprit concernant la nature de l'objet, du bois ou de l'acier, qu'on en fera toute une histoire en criant, en s'excitant et en affirmant son point de vue de manière excessive. Quand on voit, quand on n’a aucun doute dans son esprit, il n'y a rien par quoi on puisse être troublé, car on sait ce que cela est en réalité. Chaque fois qu'il y a un doute ou un refus, le mental apparaît. La définition du mental est : “Différent de ce qui est, autre chose que ce qui est. ” ››
Pour savoir si le mental a commencé son travail, c’est le seul moyen. Car de manière ultime l'émotion est le seul critère. Là où l’émotion a disparu tout le reste disparaît, le mental lui-même disparaît. La vérité ou la réalité apparaît. L’émergence de l'émotion elle-même est le mental. Et cela commence à exister seulement quand autre chose que ce qui est a été créé. Voilà ce qu’est le mental. Et ce« quelque chose d'autre ›› qui est créé par lui est maintenant attaché ou lié au moi. Et la forme la plus subtile de ce lien est l'attente.
« Quand on ne tient aucun compte de la réalité, quand on crée autre chose à sa place, on commence à attendre quelque chose de ce qu'on a créé, dit Svãmiji. Avec quel résultat ? Vous ne voyez pas maintenant celui dont vous attendez quelque chose, vous avez créé quelqu’un d’autre à sa place et vous construisez vos attentes sur lui.
Est-ce que je vous parle ? Si oui, comment puis-je me plaindre et dire : “Pourquoi parlez-vous de cette façon ? …Pourquoi faites-vous ceci ?” Alors pourquoi est-ce que je me plains ? J'admets moi-même que je parle à « vous ». Mais est-ce que je vous parle vraiment ? Si c'était le cas, j’aurais dû vous parler, après avoir découvert ce que vous étiez. J’aurais dû choisir la manière appropriée de parler avec vous. Alors il n’y aurait plus aucune possibilité d’éprouver le moindre ressentiment contre vous. D'où vient le ressentiment ? Du fait je n’ai pas vu “vous” en vous. En réalité j’ai parlé à une personne qui était ma propre création mentale. C’est ainsi que la contradiction s’installe et que le conflit s'ensuit.
Je dis : “Vous êtes ma bien-aimée”, mais ensuite je me plains de vous “Pourquoi avez-vous agi ainsi ?” Eh bien, elle a fait ce qu’elle a fait. Mais qu'est-ce que je voulais ? L’image d'elle que j’ai créée dans mon esprit ne doit pas agir de cette façon. J’étais supposé être en relation avec elle, mais en réalité j’étais en relation avec une création de mon mental.
C’est pourquoi Svãmiji ne demande rien d’autre que voir. Ne pensez pas, mais voyez. Ne faites pas de suppositions, mais voyez ce qui est. Ne pas voir montre que le mental est là. Il pense. Mais que signifie penser ? Créer quelque chose d’autre. Quand le mental crée quelque chose d'autre, il établit un lien avec son propre soi : l’action et la réaction commencent ainsi. Cette émotion seule est à la racine de ce que vous pouvez appeler existence, vie, ou individualité ; elle est en fait à la racine de toute la création. »
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GRANDIR CONSTANT
En voyant réellement une croyance dans toute sa vulnérabilité, on détricote sa vie, mais cette fois-ci sans vouloir refaire un tricot, car on constate: "Je me trompais! Je suis un tricot fait de brins de mémoire, une matrice suspendue dans le temps que j'ai inventée pour me tricoter une vie".
À chaque croyance dévoilée, il y a une maille de moins sur la broche jusqu'à ce qu'on constate: "Je n'ai plus de maille, plus de broche, plus de laine. Ah! Je tricotais un chandail imaginaire pour habiller un fantôme: moi !"
Le témoin regarde, et silencieusement le corps se vide de toutes ses histoires inventées."
Betty Quirion
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Oui, le temps nous fait et nous défait, nous tisse et nous détisse. Il n’est pas l’ennemi, même s’il nous donne parfois l’impression de nous mordre, de nous faire tourner en bourrique, d’effacer les traces de nos pas sur le chemin. Il nous déleste, nous détache, nous accoutume, nous transforme, nous simplifie. On comprend que Gilles Baudry cite, parmi les exergues qui jalonnent son très beau recueil de poèmes, le Chant du balancier (Ad Solem, 2024), cette réflexion lumineuse, bouleversante de confiance, d’Hölderlin : « Le temps est d’une précision littérale et d’une infinie miséricorde. »
Et cette autre du paysan de Dieu, François Cassingena-Trévedy : « Les heures sont les étamines du temps que chaque jour énumère, émerveillé, jusqu’à ce que le temps même nous cueille. » Nous cueille ! Nous revient à l’oreille, comme un chant d’espérance, la Cantate à trois voix de Paul Claudel : « Mais toi, mon âme, dis : Je ne suis pas née en vain et celui qui est appelé à me cueillir existe ! »
Le temps nous conduit où nous devons aller, fait de nous ce que nous devons être, défait ce qui doit l’être, et sauvegarde ce noyau étrange, cette musique irréductible, ce souffle improbable que nous sommes encore quelques-uns à appeler l’âme. L’âme ! Un de ces « mots déshabillés de tout savoir », comme le dit Gilles Baudry.
Le temps nous apprend la science de l’adieu, si amère vue de l’amour que nous avons contracté pour les choses de cette terre, ses fruits merveilleux, ses passants qu’on voudrait immortels. Le poète y décèle un scintillement autre : « L’adieu tu en connais / les extases et les ombres // la fêlure de rechercher / partout sa doublure invisible // le pied vacille / le cœur se vrille // le silence des larmes / la poignante mélancolie des choses // l’adieu pourtant / ne peut mourir définitivement // il se retire / comme la mer pour laisser advenir // dans l’interstice de l’absence / cette lumière murmurée // l’instant porté / à l’état pur // inattendu se lève en nous / le visage intérieur et sa lueur d’eau vive. »
Il y a une lenteur propre au temps. Cet espace, creusé en lui, pour la naissance. Cette naissance qui n’en finit pas. Qui se confond avec le mouvement même de la vie. Un mouvement, pour ainsi dire immobile. Cette lenteur, nous apprenons à en trouver la porte — c’est une aile, nous dit le poète. Et à l’habiter. Mais pour l’habiter, il faut sortir du temps agité, faussement productif, frénétique, où le monde voudrait nous enfermer : « Plus tu fais, moins tu es / et moins tu contemples, / plus tu t’agites, / moins tu habites. »
Le commencement de l’effacement
Habiter ! Voilà ce que le temps nous apprend. Habiter le passage, la traversée des apparences, l’Évangile douloureux de la mort — cet « ange qui revient chercher ses ailes », comme l’écrit le poète Jean-Baptiste Para, cité par Gilles Baudry. Habiter, ne pas esquiver, amoindrir l’épreuve de la mort : « Immobile la chambre / comme l’attente / la fenêtre se signe / il s’est quitté / enfin. »
Habiter, voir dans le visage de l’ami qui s’en va pour jamais quelque chose de difficile à nommer : le commencement de l’effacement, mais aussi le signe presque imperceptible de l’acheminement. Comme une promesse de Destination. Le poème est dédié à Philippe Mac Leod, mort en 2019 : « Tu n’avais plus que le visage de l’absence / mais au cœur du silence chacun voyait luire / l’inextinguible flamme de l’humble présence. / C’était assez d’amour infini pour partir, / prendre congé de nous sans vraiment nous quitter. / La mort à notre vue qui croyait te ravir / a fait éclore à son insu l’éternité. » Il existe une fécondité et même une sainteté du temps. L’œuvre d’une vie, la seule qui compte ? Le découvrir, en soi et hors de soi. Et pour cela, « voir ce qui demeure dans ce qui passe », comprendre ce qui fait qu’à chaque instant « les aiguilles / de l’horloge sont à deux doigts / de se taire ».
Emmanuel Godo, poète et essayiste, est professeur de littérature en classes préparatoires. Il a notamment publié les Passeurs de l’absolu (Artège), les Égarées de Noël (Gallimard) et Maurice Barrès (Tallandier). Son dernier livre, Ton âme est un chemin (Artège), sort le 18 septembre.
Source : La Vie
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Exercice : Quitter la tête, s'installer dans le corps
Fermez les yeux si vous le souhaitez puisque vous êtes contraint d'attendre.
À présent, laissez glisser vos pensées dans votre corps. Comme une carafe que vous videriez dans un grand bassin. Alors les pensées se diluent, se perdent dans le flot des sensations.
La sensation du souffle qui se balance et des poumons qui respirent. La sensation du ventre qui gargouille ou se tait.