A quelques jours de la Toussaint et de la commémoration des défunts, la date de ma chronique
tombe à pic pour vous faire part d’une interrogation sur la fin de vie. Dans quelles conditions allons-nous quitter cette existence ? Devrons-nous finir dans la souffrance, sous prétexte que c’est notre destin, même entourés par des proches ou des infirmiers compatissants, même soulagés par des analgésiques ? Cet été, je débattais avec un ami au sujet de cette loi sur l’aide à mourir adoptée par les députés. Un être pourrait désormais s’administrer un produit létal, sous certaines conditions - être atteint d’une affection grave, incurable, être majeur... S’il ne peut procéder lui-même à cet acte, le malade pourrait demander l’aide d’un médecin. Cet ami de 80 ans défendait le droit de mourir dignement et non dans un état de déliquescence. Quant à moi, je lui exprimais mes craintes d’ouvrir une porte étroite à l’euthanasie, qui allait nécessairement s’agrandir sous la pression de la société, peu encline à prendre soin des plus âgés et des personnes handicapées.Depuis cinq années, j’accompagnais un frère malade d’un cancer métastasé, dont on venait d’arrêter les traitements. Dans ce contexte de fin de vie, j’évoquais les moments intenses et joyeux que je vivais, son désir de vivre malgré la conscience de son échéance proche et la beauté de voir comment l’esprit émerge à la surface d’un corps épuisé.
AU RYTHME DES PETITS MIEUX
Hâter la fin de mon frère qui vivait relié à ses fils d’oxygène et de morphine était à mes yeux sacrilège, tant notre présent était fécond. Lorsque l’on accompagne un malade sur la fin, on vit un moment à part, hors du temps. On est sans arrêt dans la gravité, l’attente, la tension au sujet d’une mauvaise nouvelle qui pourrait parvenir. On vit au rythme des petits mieux qui sont source d’enthousiasmes, des marches descendues, des consultations, autant d’épées de Damoclès... Pourtant, malgré cette réalité, je n’aurais donné ma place à personne ! Avec mon frère, je cultivais la vie.
Sur les conseils de l’ami, je suis allée voir la Chambre d'à côté, de Pedro Almodovar, qui raconte l’histoire d’une femme atteinte d’un cancer en phase terminale. Elle décide de mettre fin à ses jours avant de subir de nouveaux traitements invasifs qui, d’après les médecins, ne feront rien à part lui donner quelques jours de plus. Mais dans quel état ? Elle demande à une amie de l’accompagner dans une belle maison en pleine nature et de rester dans la chambre voisine. Elle a décidé de s’administrer une substance létale sans révéler à son amie le jour où elle le ferait. La beauté qui entoure la malade et son amie est propice aux partages heureux et amicaux, jusqu’au jour où elle met fin à son existence. Elle accomplit ce geste pour éviter de vivre la souffrance de son corps dévasté.
Le jour où je sortais du cinéma, une longue traversée d’épreuves physiques attendait mon frère, qui ne pouvait plus ni s’alimenter ni s’abreuver. Il respirait très mal avec un seul poumon. 11 était de moins en moins conscient, car les doses de morphine l’entraînaient dans un état de grande confusion. Il n’était plus avec les autres. Lorsqu’on vit dans la proximité d’une telle fin, les termes espérance et acceptation de la souffrance ne veulent rien dire. Il y a juste un être qui n’est plus capable de vivre quoi que ce soit de vivant. « Ta mort fait comme une ile noire dans un océan de lumière, relevait poétiquement Christian Bobin. Pour te rejoindre, aucune barque... Il faudrait pouvoir marcher sur la lumière. Cela doit s'apprendre. Cela s’apprend. »•
Paule Amblard
(source : La Vie)
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