Paysan français d’origine algérienne, cet écrivain engagé de 77 ans a développé, tout au long de sa vie, un guide de conduite respectueux de la terre et de ses « lois ».
Vous dites qu'on peut nourrir toute l'humanité. Comment faut-il procéder ?
La faim dans le monde peut se résoudre si on considère que c'est une urgence. Les ressources de la Terre sont immenses. Un simple grain de blé pourrait nourrir l'humanité. Vous le semez, il se démultiplie. Chaque épi contient quarante à cinquante graines. La prodigalité de la vie est infinie. Mais la planète est divisée entre une minorité, qui accapare les ressources, et des indigents, qui ne sont pas invités au festin. Notre société produit en surabondance, à tel point qu'elle gaspille énormément.
L'agroécologie, ça consiste en quoi ?
Cela permet de produire notre nourriture en respectant la terre, sans l'empoisonner. Une terre vivante est une terre qui a gardé toutes ses facultés pour donner la vie. Quand on l'examine, on constate qu'elle est pleine de microbes, de micro-organismes, vers de terre, insectes, etc. Dès lors qu'on amène des poisons, on tue tout. Et on cultive sur des substrats morts.
Vous affirmez avoir un contentieux avec la modernité. D'où vient-il ?
La modernité est prétentieuse. L'être humain a cru qu'il était un dieu et qu'avec sa technologie, il produirait du bonheur. Malheureusement, la société prospère dans une consommation exponentielle d'anxiolytiques. Le bonheur escompté n'est pas là. Il n'y a jamais eu autant de tristesse et de désarroi que dans la société qui est censée les éradiquer.
Vous avez été ouvrier spécialisé dans les années 1960. Comment cette expérience a-t-elle pesé sur votre réflexion ?
C'est là que j'ai pris conscience de la condition humaine. Je travaillais dans une ville, dans cette complexe société urbaine, où les individus étaient subordonnés au service d'une logique de l'argent. J'avais l'impression de vies gâchées. On vous donne un salaire, vous donnez votre vie.
Il faudra bien qu'on s'interroge un jour : existe-t-il une vie avant la mort, et non pas après la mort ? Si vivre, c'est arriver au monde, faire des études, trimer toute sa vie jusqu'à la retraite, je ne vois pas l'intérêt. On m'aurait dit : voilà ce que sera ta vie, j'aurais dit que je préférais ne pas exister. De la maternelle à l'université, on veut travailler dans des boîtes, aller s'amuser en boite avec une caisse, jusqu'à la boîte à vieux, la boite définitive… Notre civilisation n'est pas réussie. J'ai voulu retourner à la terre.
Que signifie le retour à la terre ?
Pendant les guerres, lorsqu'il n'y a plus rien à manger, chacun se souvient du cousin qu'il a à la campagne, qui possède à manger. C'est lui, le pauvre type qui n'a pas réussi. J'ai écrit Le recours à la terre pour dire : cette société ne tiendra pas. La vie n'est pas dans le béton, mais dans la nature. Il y aura forcément un transfert de population des sphères urbaines vers l'espace rural.
Une fois que le secourisme social va s'arrêter, que se passera-t-il ? J'avais imaginé des oasis en tous lieux, en poussant au regroupement des gens, afin qu'ils mutualisent leurs compétences et leur savoir-faire. Chaque oasis comporterait une vingtaine d'habitants, qui vivraient en solidarité, avec des cours pour les enfants et les collégiens, sur la base de l'échange, sans obligation de se rémunérer.
Vous vous êtes converti au catholicisme. Quelle part occupe le divin dans votre réflexion ?
Pour moi, c'est une évidence. Seulement, cette évidence, on a voulu se l'approprier. Les religions ont fabriqué Dieu. Elles l'ont personnalisé. En le personnalisant, chacun s'est construit son Dieu et se bat de tous les côtés. La spiritualité ne peut tenir dans une cage. Je suis très attaché à la notion d'amour, à la puissance de l'amour, ainsi qu'à la figure du Christ, qui a bouleversé l'ordre social, lorsqu'il s'est levé contre l'autorité religieuse, en disant qu'elle n'existait pas et qu'elle appartenait à chacun. Le précepte fondamental est d'aimer, même nos ennemis. Si on aimait, le monde changerait. J'ai beaucoup lu l'Évangile, la Bible, et j'ai été séduit par cet individu qui parlait d'amour.
Ses dates clés
1938 : naissance de Rabah Rabhi, à Kenadsa, en Algérie.
1954 : conversion au christianisme, à Oran. Il choisit le prénom Pierre.
1960 : Pierre Rabhi décide de s'exiler en Ardèche, pour retourner à la terre.
1981 : il se rend au Burkina Faso en tant que « paysan sans frontières » afin de partager son expérience.
1994 : il commence à animer le mouvement Oasis en tous lieux (promouvoir le retour à une terre nourricière et la reconstitution du lien social).
2002 : lancement du mouvement Colibris (sensibiliser aux questions de l'agroécologie et de la nature).
Son rapport à l'Ouest
Pierre Rabhi s'est lié d'amitié avec Constance de Polignac, princesse propriétaire auvergnate d'un domaine breton, à Kerbastic, près de Guidel (Morbihan).
Constance de Polignac avait hérité, à la mort de son oncle, d'un château et d'un parc gigantesque, mais stérile et dégénéré. Aussi, lorsqu'en 2009 Pierre Rabhi l'invite à un « dîner biologique » à Paris, ils se découvrent des atomes crochus. Elle finit par proposer à Pierre Rabhi de l'aider à réhabiliter son domaine.
Le projet séduit le paysan de l'oued algérien, qui y voit une bonne façon de tester ses recettes. La princesse et lui ont noué depuis une amitié durable. Le domaine, magnifique, a déjà repris des couleurs.
Les légumes servis au restaurant du château viennent du potager, où s'appliquent rigoureusement les principes de l'agroécologie.
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